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le fait d’ordinaire. En 1843, lors de mon premier voyage, un médecin distingué de Hong-kong m’assura gravement que les docteurs chinois recueillaient indistinctement toute sorte d’herbes, et qu’ils les employaient en masse, selon ce principe que si l’une n’est pas efficace, il y a chance qu’une autre le sera. Or rien n’est plus faux. Que les docteurs chinois ne soient point habiles en chirurgie, je le reconnais ; qu’ils ignorent un grand nombre de nos meilleurs remèdes, empruntés aux végétaux et aux minéraux, je l’admets encore ; mais d’un autre côté, au sein de cette vieille nation, civilisée depuis des siècles, les générations se sont transmis d’âge en âge une série de découvertes qui ne sont pas à dédaigner, et dont on n’a pas le droit de se moquer légèrement. Le docteur Kirk, de Shang-haï, m’a dit qu’il avait trouvé en usage commun chez les Chinois un excellent tonique (probablement une espèce de gentiane), égal, sinon supérieur, à tous les toniques de nos pharmacies, et je ne doute pas qu’il n’y ait en Chine un grand nombre d’autres remèdes qui nous sont inconnus et qui mériteraient d’être étudiés. » Le même raisonnement pourrait s’appliquer à beaucoup d’usages et de coutumes que nous sommes trop portés à tourner en ridicule, faute de les bien comprendre, et il serait temps de rendre aux Chinois, d’après le témoignage des voyageurs qui les ont vus de plus près, la justice qui leur est due. Puisqu’on les accuse, non sans raison, de ne pas savoir apprécier ce qui vient de l’étranger et de se croire supérieurs au reste du monde, il ne faut pas tomber dans le même travers en se moquant d’eux à tout propos, uniquement parce qu’ils paraissent étranges. La civilisation de l’Occident les a certainement dépassés : elle marche à pas de géant, du moins on l’affirmé, tandis que l’Orient s’est arrêté et recule ; mais les réflexions fort justes qu’inspire à M. Fortune la médecine chinoise sont de nature à rabattre beaucoup de notre dédain pour un peuple qui renferme sur toutes choses des trésors d’expérience accumulée, et qui s’est jusqu’à ce jour très aisément passé de notre science. Il vaut mieux rechercher ce que les Chinois ont de bon et d’utile que de s’égayer aux dépens de leurs excentricités. Si l’on peut raisonnablement hésiter à avaler cent de leurs pilules pour couper un accès de fièvre, les agriculteurs et les habitans des climats chauds n’apprendront pas sans profit comment s’y prennent les fermiers du Ché-kiang pour récolter le miel d’une ruche pleine d’abeilles et pour se garantir de l’insupportable présence des moustiques. Sur ces deux points, je me contente de signaler le résultat des observations de M. Fortune : je recommande surtout le tabac à moustiques.

Il faut renoncer à suivre pas à pas un voyageur qui court incessamment d’une province à l’autre, et, selon les saisons, se retrouve