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Notre voyageur avait acquis, par une pratique de plusieurs années passées sur le sol du Céleste-Empire, une expérience trop sûre des dangers qui menacent les imprudens pour continuer, durant les fortes chaleurs, ses promenades botaniques. Aussi le voyons-nous prendre ses quartiers d’été dans le monastère de Tien-tung, près de Ning-po, sous le toit d’un bonze qui lui avait plus d’une fois déjà donné l’hospitalité. Il avait soin de ne sortir que le matin et le soir, les heures de la journée demeurant consacrées à l’étude, au classement des collections de plantes ou d’insectes et aux visites qu’on lui faisait de tous les environs ; car là, comme à Tse-ki, il avait enrôlé un corps d’auxiliaires qui, moyennant une légère rétribution, couraient la campagne sous les drapeaux de la science. Malheureusement, en dépit de ses précautions hygiéniques, M. Fortune fut, en plein mois d’août, pris d’un violent accès de fièvre, et il fallut appeler le médecin de Tien-tung-ka, la ville la plus voisine du temple. C’était assez inquiétant. Le docteur arriva, interrogea le malade, lui tâta le pouls avec attention ; puis, pendant qu’il envoyait un domestique chercher certains médicamens, il se fit apporter un bol de thé très chaud, dans lequel il plongea les doigts, et, avec ses ongles ainsi humectés, il pinça fortement le patient à divers endroits du corps. Quand il eut ses médicamens, il prit un paquet d’une centaine de pilules dont il prescrivit l’absorption à l’aide d’une tasse de thé bouillant. M. Fortune hésita d’abord (il songeait sans doute à l’emploi que les pharmaciens font des insectes) ; il voulut au moins essayer de l’une de ces pilules, et, après avoir reconnu qu’elle avait un goût de poivre, il avala bravement toute la dose. Le docteur ordonna enfin une infusion de diverses herbes, et il se retira, annonçant qu’il se représenterait au bout de trois jours, et que le second accès de fièvre, s’il survenait, serait certainement très léger. Au jour dit, le médecin de Tien-tung-ka était au temple ; il fit coucher son malade, le pinça de nouveau, et lui prescrivit une seconde centaine de pilules, suivie de tisane. L’effet produit fut une abondante transpiration qui entraîna sans doute la fièvre, car celle-ci ne reparut plus, et M. Fortune déclare qu’il fut radicalement guéri. — Il ne faut donc pas trop médire de la médecine chinoise ; elle a guéri M. Fortune, elle a guéri le père Huc, et, quelque étranges que puissent paraître les méthodes et les remèdes qu’elle emploie, les deux voyageurs ne craignent pas d’en parler avec un certain respect. « Il est probable, dit M. Fortune, que nos médecins d’Europe se mettront à rire à la lecture de ces détails, mais il n’y a pas à contester les résultats obtenus. En vérité, d’après mes rapports fréquens avec les Chinois, je suis disposé à apprécier leur habileté plus favorablement qu’on ne