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adorables. On le surprendrait bien, si on lui disait que les convenances ne permettent guère de transformer une église en estaminet, et qu’il est peu respectueux de fumer sa pipe en présence des saintes idoles. Ses prostrations terminées et son cierge allumé, n’est-il pas complètement en règle ? On voit de même, lors des enterremens, près du cercueil à peine descendu en terre, les parens et les amis du défunt s’installer comfortablement autour d’un bon déjeuner et se livrer sans aucun souci à leur gaieté naturelle. — La fête d’Ayuka se prolongea jusqu’à la nuit, et les pèlerins regagnèrent successivement la vallée ou les rives du canal. Tout s’était passé dans le plus grand ordre : pas une querelle au milieu de cette foule, où toutes les classes étaient confondues, le paysan à côté du citadin, le pauvre diable de coolie à côté du brave bourgeois qui, paré de ses habits de satin et rasé de frais, comme il convient en un jour de fête, marchait à l’auteur au milieu de sa nombreuse famille et d’une forêt de cierges de première qualité. Pas un homme ivre, bien que tout ce monde eût longuement dîné, et que dans ces repas, bruyans de gaieté, le sam-chou eût été servi à la ronde. Quand M. Fortune s’approchait d’un groupe, il était le bienvenu ; on l’invitait à prendre place à table, et cette offre était toujours faite très poliment, avec les formes cérémonieuses que les Chinois, de mœurs en général si débonnaires et si simples, prodiguent jusque dans la familiarité des relations personnelles. Il n’accepta point ces propositions courtoises, ne voulant pas sans doute altérer par sa présence le caractère intime de ces festins de famille ; aussi devons-nous croire à la parfaite indépendance de son témoignage lorsqu’il atteste la bonne tenue, la sobriété, l’urbanité prévenante de la population qu’il a rencontré au pèlerinage d’Ayuka.

M. Fortune ne pouvais se dispenser de faire visite au grand-prêtre, qu’il trouva fort modestement logé dans un petit appartement dépendant du temple ; c’était un vieillard très aimable, qui le fit asseoir à la place d’honneur dans le salon de réception, lui offrit la tasse de thé, et se montra fort dispos à converser avec son visiteur. Il lui fournit des renseignemens sur la situation matérielle d’Ayuka. Le temple possède des terrains assez étendus dans la vallée ; il faut ajouter au revenu de ses propriétés les dons des fidèles bouddhistes et les sommes assez rondes, que les dignitaires de l’église sont obligés de verser dans la caisse de la fabrique avant d’entrer en fonctions. Ainsi le grand-prêtre avait payé plus de 15,000 francs lors de son élection ; i était nommé pour un délai de trois ans après, lequel un autre candidat devait le remplacer sans doute au même prix. Il paraît qu’à la fin de son temps, d’exercice, qui se passe de la façon la plus douce, le grand-prêtre peut prétendre à