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s’était parée avec une certaine coquetterie que ma captivité lui avait fait oublier. Une rose placée dans ses beaux cheveux noirs faisait merveilleusement ressortir sa figure pâle et expressive. Je me jetai dans ses bras, et dans cette solennelle étreinte j’oubliai les angoisses du prisonnier comme les appréhensions du proscrit…


Trois jours m’étaient accordés pour faire mes préparatifs de départ et pour m’éloigner. J’employai ce court espace de temps à parcourir Rome et ses environs, à revoir les lieux auxquels était attachée une partie de moi-même. J’éprouvais le besoin d’emporter, gravé dans mes yeux comme dans mon cœur, le cher souvenir de cette campagne romaine où s’était écoulée ma première jeunesse. Je me rendis ensuite avec Séraphine à la villa Barberini ; elle me montra la place où elle avait attendu le passage du pontife. Ces promenades m’étaient salutaires autant qu’elles me charmaient. Je respirais l’air à pleins poumons, je savourais avec une ineffable volupté l’inappréciable avantage d’être libre, d’être aimé. La fièvre me quitta bientôt ; je repris quelque vigueur, je sentis la sève de ma jeunesse refluer dans mes veines engourdies ; j’étais presque heureux…

Avant de quitter les collines albanaises, nous voulûmes aussi visiter le mont Cavi, l’une des cimes les plus élevées des Apennins. Situé à six ou huit lieues à l’est de Rome, le mont Cavi porte encore les ruines d’un ancien temple dédié à Jupiter Férétrien. C’est dans ce sanctuaire célèbre que les généraux romains allaient déposer les dépouilles des vaincus. La route, très pittoresque et très accidentée, est bordée de pierres milliaires qui portent les initiales V. N. [via numinis). Avant le lever du soleil, nous nous étions rendus sur le point culminant de la montagne. Je n’essaierai pas de décrire ce panorama sans égal, cette immense courbe qui nous entourait de tous côtés sans que nos yeux pussent arriver à ses dernières limites Épurée par l’élévation du lieu, rafraîchie par la brise du matin et par une pluie d’orage tombée deux jours auparavant, l’atmosphère était limpide et transparente. Une colonne posée devant nous portait cette inscription en italien : Qui que tu sois, si tu penses que l’homme puisse quelque part et pour quelques instans être heureux, arrête-toi et contemple. Quel tableau en effet ! A droite et à gauche, les deux mers, l’Adriatique et la Méditerranée, bordaient l’horizon. On voyait au loin quelques voiles qui naviguaient dans différentes directions. Devant nous s’étendaient la province de Terracine, — plus loin le royaume de Naples et les Abruzzes, les Marches et la chaîne des Apennins, qui détachait sur le ciel sa silhouette dentelée. Rome se montrait