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tout mon avenir et tout notre bonheur, rompit la première le silence, et le plus brièvement possible, mais avec une visible émotion, elle fit connaître l’objet de sa démarche et prononça mon nom. À cette révélation, le pontife devint blême de colère, et, tout en murmurant dans son dialecte vénitien quelques mots inintelligibles, par un brusque mouvement en arrière il tenta de se débarrasser de l’importune solliciteuse. Celle-ci écarta son voile, et, tout en pleurant, elle saisit vivement le bout de l’étole du pontife. La situation était critique. La pauvre jeune femme, vaincue par tant d’émotions, s’évanouit. Grégoire XVI effrayé la soutint et la fit asseoir sur un banc. Tout à coup le cortège du pape se montra. La plate-forme de la villa Barberini offrit alors un curieux tableau. Le successeur de saint Pierre tenait entre ses bras une épouse-vierge au pied d’une statue de Jupiter, dont l’église qui le reconnaissait pour chef avait abattu les autels, et sur les ruines d’une villa de Domitien dont il occupait le trône ! En ce moment, le soleil couchant envoyait à travers les massifs un dernier rayon sur ce groupe étrange, et illuminait en même temps la vieillesse et la beauté, la personnification du célibat et l’héroïne de la fidélité conjugale ! Le silence solennel que gardaient les spectateurs de cette scène n’était interrompu que par les sanglots de la jeune femme, qui suppliait le souverain pontife, au nom de la religion dont il était le représentant, de lui rendre l’époux que cette religion lui ordonnait de suivre, d’aimer et de réclamer.

Deux jours après cet événement, je fus mandé devant le gouverneur du château Saint-Ange. Il m’annonça d’abord que ma mise au secret était levée ; puis, après un long préambule sur la clémence inépuisable de sa sainteté et l’énormité de mes fautes, il me fit savoir que je ne devais pas espérer une remise pleine et entière de ma peine, mais que, si je le désirais, les cinq années de réclusion qui me restaient à subir seraient changées en exil. Je demandai quarante-huit heures pour réfléchir. Le geôlier Grégoire, quand je quittai le gouverneur, me remit une lettre de Séraphine, qui me racontait ce qui venait d’arriver et me conseillait d’accepter toute commutation de peine, quelle qu’elle fût. Néanmoins j’hésitais. L’exil perpétuel à la place de cinq années de détention, c’était plutôt une aggravation de peine qu’une grâce ; toutefois je réfléchis que, même après l’expiration de ces cinq années, il était possible qu’on m’éloignât arbitrairement, et par mesure de sûreté, de Rome et des états pontificaux. J’acceptai donc. Le lendemain, les portes du château Saint-Ange s’ouvrirent pour me rendre à la liberté. Je me séparai de mes compagnons d’infortune les larmes aux yeux. Ma nouvelle famille m’attendait ; je courus la retrouver. Séraphine, belle comme une vierge de Raphaël,