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ville se passionna pour la jeune héroïne de ce roman, qui avait commencé dans la chapelle d’une prison et qui se continuait dans le palais des membres du sacré collège. La jeunesse romaine surtout se préoccupa vivement de cette affaire. On ne parlait plus dans les salons de Rome que de notre mariage. On fit des sonnets en l’honneur de Séraphine, et partout où elle se présentait, elle était accueillie avec des marques d’admiration et de respect. Cependant la police finit par s’alarmer de tout ce bruit. On fit croire au gouverneur de la citadelle que les étudians voulaient m’enlever à main armée, et je fus mis plus rigoureusement encore au secret. On doubla les postes, on consigna la garnison, on fit des arrestations, tandis que moi, enfermé dans ma cellule, j’ignorais complètement ce qui se passait. Ma santé se ressentit de ce redoublement de sévérité. Je commençai à cracher le sang, et, après force supplications, j’obtins d’être transféré à l’infirmerie.

Le clergé et les ordres religieux de leur côté prirent part au débat, mais seulement au point de vue canonique. Les avis étaient partagés ; tous convenaient cependant que c’était un nouveau cas présentant des caractères particuliers. On s’accordait d’ailleurs sur la validité du mariage ; on en discutait seulement les conséquences probables. Un dernier et suprême effort restait à tenter : c’était d’aborder le pape lui-même et d’obtenir du souverain ce que ses représentans refusaient avec tant d’obstination. Grégoire XVI d’ailleurs connaissait parfaitement notre situation. Séraphine, qui avant notre mariage avait déjà essuyé un refus formel, ne se découragea point : elle demanda une nouvelle audience au saint-père. Je dis audience, quoique le mot soit impropre : le pape n’accorde jamais d’audience aux femmes ; seulement, lorsqu’il consent à écouter leurs plaintes, ce qui est extrêmement rare, il se laisse aborder, à l’heure de la promenade, dans les jardins du Vatican ou du Quirinal. C’est donc une rencontre en quelque sorte fortuite plutôt qu’une réception convenue. On s’adressa à des protecteurs haut placés pour tâcher d’obtenir cette espèce d’entrevue en plein air. Le prince-cardinal Massimo, qui connaissait la famille de Séraphine, fut prié de prendre en main notre cause et de ménager à la jeune femme une occasion favorable. Il promit beaucoup, mais il nous fit perdre un temps précieux par d’interminables délais. Peut-être voulait-il montrer par ces éternelles lenteurs qu’il était bien le véritable descendant de Fabius Maximus, le temporisateur, dont il se prétendait issu en ligne directe. Les ancêtres de cet honorable prélat, pour mieux prouver leur origine séculaire, ont imaginé de se donner des armes parlantes : ce sont des empreintes de pas sur un champ azuré, simulant les nombreuses marches et contre-marches du général romain qui, par ce