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les prairies qui entouraient le château. Il y avait dans l’air ce je ne sais quoi d’animé, cette espèce de parfum tiède et capiteux qui enivre la tête et le cœur. Le moment désiré arriva enfin ; les portes me furent ouvertes. Je me tâtais à deux mains, je me mettais à courir, j’aspirais l’air, puis je m’arrêtais, je respirais, je courais encore, au hasard, sans direction, pour me convaincre que l’état où je me trouvais n’était pas un rêve. Le souvenir de Séraphine me revint tout à coup. Je tressaillis à la pensée que j’allais la revoir et causer avec elle de notre amour. Quand j’arrivai, nous nous jetâmes dans les bras l’un de l’autre, et dans cette étreinte fiévreuse, dans ce trouble de deux cœurs inassouvis, nous ne pûmes contenir nos larmes. Je rentrai néanmoins à l’heure convenue. Bientôt, grâce à mon extrême exactitude, Grégoire consentit à m’accorder quelques sorties extraordinaires, et de la sorte je passais la nuit dehors deux fois par semaine. Enfin le concierge se décida à me confier la clé de la petite porte dérobée par laquelle je sortais. J’avais soin cependant de rentrer exactement avant le lever du jour. Une nuit, lorsqu’après avoir évité les trois ou quatre sentinelles qui se trouvaient sur mon chemin, je me disposais à regagner ma cellule, je vins à passer auprès d’une porte que je savais s’ouvrir dans le corridor qui réunit le château Saint-Ange au Vatican. Cette porte n’était pas fermée ; je la poussai légèrement, elle céda. La curiosité me fit aller plus loin ; je m’avançai, décidé à m’assurer si, comme on le disait, le corridor, au moyen d’une porte masquée, aboutissait à la chambre à coucher du pape. À peine avais-je fait une centaine de pas que j’entendis derrière moi un léger bruit, puis un grincement de gonds et de verroux. Je me retournai et vis une lumière se rapprocher de moi. Ne sachant que penser de cette apparition, je hâtai le pas, et je continuai à marcher rapidement dans l’ombre. À l’aide d’un faible rayon de lune qui pénétrait entre le toit et le mur, je remarquai au milieu du corridor une vaste guérite faisant saillie sur l’enceinte extérieure. Je m’y cachai. Une minute après, je vis passer un homme portant une lanterne, puis un autre enveloppé dans un vaste manteau. Un rayon de lune les éclaira. Je les reconnus : c’était le pape, précédé de son valet de confiance Gaetanino ! Mon juge, mon persécuteur était en ma présence et presque en mon pouvoir. Je dus faire un effort surhumain pour rester maître de moi ; mais cet effort et la violence de mon émotion amenèrent bientôt une douloureuse réaction. Je tombai évanoui par terre, et ce fut la fraîcheur du matin qui me fit reprendre connaissance. Il était temps de regagner ma cellule ; heureusement l’entrée du corridor n’était fermée que de mon côté, au moyen de deux verroux et d’une barre le fer, de sorte que je pus facilement ouvrir la porte. Giulio était