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parvint, à l’aide de ces manuscrits apocryphes, à tromper les savans les plus distingués de l’Italie. Il fut enfin compromis par un malheureux Silius Italicus, écrit à la main, qu’il avait donné comme ayant appartenu à Pétrarque, et comme portant des notes marginales du poète. L’idée de ce faux était très ingénieuse. On sait que Pétrarque a traité dans son beau poème latin De Africa des deux premières guerres puniques, et que Silius Italicus a de son côté chanté la deuxième guerre de Carthage. Or, en partant d’un pareil fait, on pouvait aisément présumer que le poète italien avait commenté, sinon copié, celui qui avant lui avait traité le même sujet. Ce calcul n’eût pas manqué de réussir, s’il n’eût renfermé une erreur de quelques années. En effet, le poète espagnol ne fut retrouvé que quelque temps après la mort de Pétrarque, en 1414, par Poggio Bracciolini ; donc il n’avait pu être illustré de notes par son prétendu commentateur. La fraude fut découverte, et le procès d’Alberti aboutit, comme le mien, à dix années de réclusion.

Alberti était un homme d’un commerce très agréable. Sa conversation variée, ses manières distinguées, son imagination très vive, son caractère prévenant, me furent d’un grand secours. L’imitation était chez lui passée à l’état d’idée fixe, et elle se traduisit d’une manière curieuse dans les rapports qui existèrent entre nous. Je lui avais fait part de presque tous mes secrets ; il parvint de la sorte à me tromper plusieurs fois, mais toujours dans des choses bien innocentes, en fabriquant des lettres au nom de mes parens, de mes amis, et même de Séraphine. Il me proposa un jour tout un plan de fausses pièces, au moyen desquelles nous aurions pu nous sauver, car, depuis l’ordre de sortie jusqu’au passe-port, tout lui paraissait facile à contrefaire. Il reproduisait surtout avec une exactitude incroyable les cachets et les sceaux des administrations. Un compas, quelques crayons, de l’encre et une plume lui suffisaient pour exercer son habileté.

Deux autres personnages assez mystérieux étaient aussi détenus au château Saint-Ange. L’un d’eux, que je ne puis nommer, appartenait à une famille princière, et se trouvait emprisonné pour un motif que je n’ai jamais bien connu. L’autre était l’abbé Dominique Abbo, de Gênes, dont le procès fit tant de bruit en Italie.

Cependant ma santé s’altérait gravement ; l’ennui, le chagrin, une sorte de nostalgie, s’étaient emparés de moi. La pensée d’avoir compromis l’avenir de Séraphine me poursuivait avec une persistance qui jetait parfois quelque trouble dans mon esprit. Je pris alors une douloureuse détermination ; je voulus sacrifier mon bonheur à celui de ma fiancée. Je lui écrivis pour la supplier de renoncer à moi et de porter ailleurs son affection. Sa fortune, sa beauté, ses vertus, lui