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fossés creusés, des ponts-levis établis ; la plaine adjacente qui s’étend à l’ouest, derrière la forteresse, fut entourée d’une ceinture continue. Le nom de plusieurs papes est attaché aux souvenirs du château Saint-Ange. Jean II y fut enfermé, et il y mourut ; Benoît VI y fut étranglé, Jean XIV y mourut de faim ; Grégoire VII s’y réfugia, poursuivi et assiégé par Henri IV ; Alexandre VI y chercha son salut ; enfin Clément VII s’y cacha lors du sac du connétable de Bourbon, et il s’en échappa à l’aide d’un déguisement que lui fournit Benvenuto Cellini. D’autres personnages ont donné une importance historique à ce sombre château. Crescence, le prédécesseur de Rienzi, y fut pendu ; Arnaud de Brescia y fut emprisonné ; César Borgia y subit une longue détention ; Charles de Bourbon fut tué devant ses murs par un coup de fusil parti du clocher de San-Spirito ; Christine, reine de Suède, y braqua ses canons contre la villa Medici, aujourd’hui l’Académie française des beaux-arts ; Michel-Ange y tira le premier feu d’artifice connu ; enfin il a servi de prison au célèbre Cagliostro. Un corridor secret, œuvre des Borgia, réunit le château Saint-Ange aux appartemens du souverain pontife, qui sont situés au Vatican.

Au commencement du printemps, je fus transféré à ma nouvelle prison, dans cet ancien tombeau qui devait à son tour enterrer dix années de mon existence ; j’avais à peine vingt-cinq ans ! Je demandai en y entrant la permission d’écrire à ma famille, à mes amis, à celle surtout dont j’étais séparé d’une manière si cruelle. Le castellano, le gouverneur du château, m’accorda cette permission à la condition que ma correspondance serait soumise à son contrôle. J’acceptai, et je commençai à écrire d’interminables lettres à tout le monde. Installé d’abord dans une cellule humide et triste, on me donna bientôt une chambre plus convenable. Les amis de ma famille m’avaient déjà fait recommander au gouverneur et aux principaux employés de l’établissement[1]. Ma jeunesse, ma position, la douceur de mes manières, ne manquèrent pas d’ailleurs de m’attirer la sympathie de tous. Je me hâte de le dire, ma détention au château Saint-Ange n’avait rien de commun avec les horreurs du Spielberg, que tout le monde connaît d’après les révélations de Silvio Pellico. J’étais traité avec quelques égards, souvent avec une certaine bienveillance. Au bout de quelques mois, je commençai à m’habituer à mon nouveau genre de vie. J’avais réglé mes occupations : la lecture, l’étude, la promenade, ma correspondance, quelquefois les entretiens avec mes co-détenus, remplissaient les heures de le journée.

  1. La population du château Saint-Ange peut s’élever à deux mille personnes ; outre les condamnés de toute catégorie, le gouverneur, plusieurs employés civils et une assez nombreuse garnison résident dans cette forteresse.