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Après l’incident du théâtre Valle, je fus plus prudent et plus réservé : mais ma sagesse fut de courte durée. Trop faible pour résister aux séductions de mes amis, trop amoureux pour m’occuper d’études sérieuses, je retombai dans mes premières folies. Un jeune étudiant corse nous apprit la Marseillaise (la connaissance de la langue française est générale en Italie parmi la jeunesse des écoles), et presque tous les soirs, après le spectacle, nous commettions l’étourderie d’aller la chanter en chœur sous les fenêtres des cardinaux. Soit qu’on ne nous eût pas entendus, soit qu’on ne nous eût pas compris, notre bravade, quoique répétée, passa d’abord inaperçue.

Mon mariage avec Séraphine devait se célébrer aussitôt que j’aurais terminé mes études et que j’aurais été reçu avocat. Étudiant de quatrième année (à Rome, on n’est admis au barreau qu’après avoir été reçu docteur), je touchais à l’époque fixée pour mes examens. Je me mis résolument au travail, et, grâce à des conférences que nous avions organisées entre jeunes étudians, je fus bientôt en mesure d’affronter la redoutable épreuve. Mon ami Raphaël m’aida puissamment de ses conseils et de ses lumières ; bref, je fus reçu docteur in utroque jure. Mes désirs allaient donc se réaliser, et l’idée d’unir mon sort à celui de Séraphine me rendait fou de bonheur. On commença les préparatifs des fiançailles. Séraphine voulut se recueillir et me défendit d’aller la voir pendant quelques jours ; bien qu’exempte de bigotisme, elle voulait puiser dans la religion la force et les vertus nécessaires à son changement d’état. Cette séparation momentanée, à laquelle je me prêtai un peu à regret, devait malheureusement se prolonger au-delà de toutes nos prévisions.

Pendant que Séraphine s’était retirée au couvent de Saint-Sylvestre in Capite, chez une de ses parentes, un soir, en rentrant chez moi, je fus arrêté dans le corridor de ma maison par deux sbires déguisés qui, à la lueur d’une lanterne sourde, me donnèrent à lire un ordre de l’assesseur du gouvernement. Cet ordre leur enjoignait de s’emparer de ma personne et de me déposer à la prison du palais Madame. Plusieurs autres agens survinrent et m’entourèrent de manière à rendre toute résistance impossible. Une sueur froide vint baigner mon front, une pensée violente et terrible m’étreignit le cœur ; en un moment, je vis passer devant mes yeux toute l’amertume, tous les regrets, toutes les douloureuses péripéties que me réservait un avenir fatalement inévitable. Je tâchai cependant de rester calme. Suivi par mes deux sbires, je me dirigeai vers la place de Saint-Apollinaire, je traversai le cirque agonal, et en deux minutes je me rendis au palais du gouvernement. J’y étais attendu, car je fus reçu par d’autres agens supérieurs qui me conduisirent dans une petite cellule