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qu’une question de politique : c’était tout simplement une question de conscience. Il se croyait obligé, dans l’intérêt même de la société, de se conduire ainsi envers tout le monde indistinctement. Les infracteurs vulgaires des lois protectrices de la propriété, de l’honneur et de la vie des citoyens pouvaient encore trouver quelque indulgence auprès de Grégoire XVI ; quant à celui qui s’avisait de conspirer contre son administration, sa faute était irrémissible, comme la punition en devenait éternelle. On pouvait avoir subi sa peine, on pouvait avoir donné des signes non équivoques de repentir : tout était inutile ; le coupable libéré était toujours regardé comme un être dangereux. Un péché originel d’une nouvelle espèce faisait du pauvre condamné un paria politique incapable pour jamais de réhabilitation.

Un ministre, ancien moine aussi, secondait puissamment dans son œuvre le cénobite couronné : c’était le cardinal Lambruschini. Il s’était trouvé à Paris en 1830 en qualité de nonce apostolique, et il avait assisté aux glorieuses journées. Ce spectacle avait produit sur l’âme du diplomate italien une profonde impression, et dès ce moment il voua une haine violente à tout ce qui était libéral, à tout ce qui était français. Il avait pour les affaires une aptitude qui lui valut d’être considéré par l’illustre Rossi comme une des plus fortes têtes politiques de l’époque. Grégoire XVI et son ministre arrivaient à la même conduite par deux sentimens différens. L’un avait la conviction raisonnée que le catholicisme est et doit être l’ennemi systématique de toute liberté ; l’autre puisait dans sa frayeur les raisons justificatives de cette opinion. L’un craignait la vengeance de Dieu, l’autre celle du peuple.

Cependant la jeunesse romaine, plongée dans une léthargie obligatoire, pour ainsi dire, perdait le sentiment des nobles instincts, et se laissait fatalement entraîner par les habitudes d’une vie molle et oisive. La galanterie, la bonne chère, le théâtre, absorbaient l’esprit de toute la population. Quant à ceux qui s’occupaient sérieusement, je ne dirai pas de science politique, mais simplement d’art et de littérature, ils étaient fort rares. Le café Nova, au Corso, était alors le rendez-vous habituel de toute la jeunesse libérale de la capitale. Cette espèce de club était très surveillé ; le moindre propos était rapporté à monsignor le gouverneur, et lorsque le mot incriminé était sorti de la bouche d’une personne connue pour sa résolution, la police prenait immédiatement ses dispositions pour empêcher d’agir le patriote si prompt à parler. La jeunesse romaine savait d’ailleurs quelle surveillance pesait sur elle, et prenait souvent l’ennemi dans ses propres pièges. Je me rappelle à ce sujet une anecdote assez plaisante. Nous étions un jour réunis en un petit