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qui se renouvelaient trop souvent. On prit une décision qui, de la part d’une administration théocratique, exigeait une certaine énergie. Le tableau de la madone fut enlevé pendant la nuit et transféré sans pompe dans l’église la plus proche, Santa-Maria del Pianto. Le peuple se porta en foule à cette église ; mais tout se passa avec ordre et décence. Plus de cris, plus de gens inspirés, plus de contorsions, plus de miracles. Néanmoins on se disait tout bas que cette translation était un sacrilège, qu’on prétendait faire la loi à la madone, mais qu’elle saurait bien se venger en suspendant ses miracles. Les dévots les plus exaltés continuèrent à fréquenter l’ancienne chapelle. Ils y passaient la nuit. À la place occupée par le tableau de la madone, on avait collé une toute petite image de la Vierge, devant laquelle les croyans persécutés entretenaient une modeste lampe. Je vis moi-même plusieurs individus s’approcher avec respect de l’endroit où avait été suspendu le tableau enlevé, arracher avec des couteaux, avec des clous, avec leurs ongles, quelques fragmens de crépissage, recueillir la poussière qui tombait du mur gratté, et emporter le fruit de ce pieux larcin comme une relique ou plutôt comme une amulette. Il vint un moment où le fanatisme se ralluma tout à coup. Le bruit courait déjà que la petite image faisait aussi des miracles. Le pape fit alors fermer la chapelle de l’arc des Cenci et garder l’entrée par des carabiniers. Ainsi finit la comédie.

Rome a toujours eu une physionomie à part ; il faut avoir séjourné longtemps dans cette ville pour en connaître le véritable esprit. Avant le pontificat de Pie IX, il n’était pas rare d’entendre les Romains s’exprimer avec la plus grande liberté sur les matières les plus délicates de la politique et même de la religion. Dans les lieux publics, dans les cafés, dans les réunions de jeunes gens, on discutait les questions les plus épineuses avec une complète indépendance ; mais cette liberté, fondée sur une tolérance calculée, était en quelque sorte négative et s’arrêtait à l’action. Malheur à celui qui se fût avisé de joindre le fait à la parole, la pratique à la théorie ! Le gouvernement usait alors d’une sévérité excessive, cruelle, impitoyable. Une lettre, un article de journal, un abonnement suspect, la possession d’un livre défendu, l’affiliation à une société secrète, devenaient tout à coup des crimes d’état, et étaient recherchés, poursuivis, punis d’une façon draconienne. Encore cette liberté de la parole était-elle limitée à tels ou tels endroits, à telles ou telles époques. À Bologne par exemple, la police était toujours assez : tolérante ; à Rome, les étrangers, même italiens, étaient moins surveillés ; au carnaval, la licence des mœurs couvrait la hardiesse des idées. Les prolétaires de l’Italie centrale sont au reste profondément