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que j’appelais tout à l’heure une âme sacerdotale. Il va jusqu’à lui reprocher d’être encore rempli des inspirations du catholicisme[1]. C’ était le jour où M. Quinet disait si bien :’ « En dépit de toutes nos forfanteries de princes, après nous être couronnés de myrte, nous ne pouvons, même sur ce trône de l’avenir, nous passer de larmes, de crucifiement d’immolation, de sainteté morale. Homme, genre humain, grand roi, nouveau parvenu, qui as déjà le vertige, tu ne te délivreras pas du berceau, ni de la mort, ni de la soif de l’invisible, du beau éternel, du vrai, du pur sans tache et sans déclin. » Ces paroles étaient trop belles, on ne devait pas les comprendre. Il se faisait donc une singulière illusion quand il terminait ainsi : « Nous nous connaissons désormais et nous n’avons plus besoin d’explications mutuelles ! » Je crois au contraire que l’auditoire et l’orateur se connaissaient mal. L’assemblée était trop révolutionnaire pour le tribun ; le tribun était trop spiritualiste pour l’assemblée.

Le même malentendu s’est reproduit et d’une façon bien plus sensible encore, après la révolution de février. La plupart des hommes qui entouraient alors M. Quinet étaient incapables de comprendre, encore moins d’approuver, la généreuse inspiration des livres qui demeureront l’honneur de son nom. Il est vanté aujourd’hui par des gens qui ne tiendraient nul compte de ses nobles poèmes ; ceux qui l’admiraient en 1840 ont été obligés de se séparer de lui. Je ne serais pas étonné que cette période de 1848 à 1851 ait été pour M. Quinet une période de tristesse. Traversons-la rapidement. Que M. Quinet ait siégé à l’assemblée constituante, à l’assemblée législative, et commandé une légion de la garde nationale de Paris, cela n’ajoute absolument rien à la physionomie morale de celui qui écrivit le mystère d’Ahasvérus. À Dieu ne plaise ne de son pays ! Sachons bien seulement, que cette participation a lieu sous plusieurs formes ; il y a, les hommes de pensée comme il y a les hommes d’action. M Quinet avait pris place dans un bataillon qui n’est pas le sien. Je n’en dirai rien de plus. Je ne parlerai pas davantage de ses brochures politiques, l’État de Siège, l’Impôt sur le Capital, la Révision. Signalon (seulement une œuvre sérieuse, les Révolutions d’Italie, résumé de plusieurs années d’études achevées publié pendant cette période. L’histoire des vicissitudes de l’Italie depuis les premiers temps du moyen âge est un imbroglio inextricable ; M. Quinet a cru trouver le rayon de lumière qui met dans

  1. Voyez Zwei Jahre in Paris, von Arnold Ruge, 2 vol. ; Leipzig 1846 ; Tome II, pages 295-303