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qu’ils avaient si longtemps méprisés. « La première assemblée constituante des Grecs, qui eut lieu à Trézène en 1822, proclama que tous les habitans de l’empire turc qui croyaient à Jésus-Christ étaient compris dans la nouvelle nationalité grecque. Cette déclaration solennelle eut un retentissement immense dans tout l’Orient. Elle inspira des sentimens nouveaux à tous les chrétiens sujets de la Porte, de toute race et de tout rit, et pour la première fois depuis des siècles leur donna la hardiesse de regarder en face et de compter leurs maîtres. » Ce grand mouvement de régénération des populations orientales s’était fait sans l’intervention de l’Occident ; la révolution grecque se fit aussi toute seule : l’Occident n’intervint qu’à la fin, dans une pensée d’humanité dont il faut remercier les rois et les peuples de 1825 à 1830. L’Europe sauva la Grèce, et la Grèce s’en est toujours montrée reconnaissante ; mais ce n’est point l’Europe, ne l’oublions pas, qui a créé la Grèce. La Grèce est née d’elle-même, et c’est pour cela qu’elle vit.

La régénération des Grecs du royaume hellénique et de l’empire ottoman est un grand exemple de ce que peut l’Orient laissé à ses forces. Voyons maintenant un exemple de l’intervention de l’Europe pour empêcher l’Orient de décider lui-même de ses affaires.

M. Mathieu raconte dans son ouvrage comment, à la mort du sultan Mahmoud, après la victoire de Nézib et la défection de la flotte ottomane, le divan, consterné par ces échecs successifs, allait traiter avec Méhémet-Ali, quand l’Europe intervint, arrêta le dénoûment oriental qui allait se faire, remit tout en suspens, et changea la question égyptienne de 1839 en la question européenne de 1840, évoquant pour ainsi dire l’affaire, mais la grossissant et la compliquant par cette évocation. Quoi ! dira-t-on, l’Europe devait-elle laisser le pacha d’Égypte décider de la destinée de l’empire ottoman ? Oui, il valait mieux laisser les deux forces orientales, l’une qui déclinait, l’autre qui grandissait, s’accorder ensemble, que d’affaiblir tour à tour l’une par l’autre, la Turquie par l’Égypte, l’Égypte par la Turquie. Que ferait de mieux quelqu’un qui voudrait s’emparer de l’Orient que d’empêcher que rien s’y élève qui puisse faire obstacle plus tard à son ambition ? C’est là ce qu’a fait l’Europe, et l’Europe pourtant ne veut pas s’emparer de l’Orient. L’Europe abaissant à Saint-Jean-d’Acre la fortune de Méhémet-Ali a détruit la dernière puissance mahométane de l’Orient. Elle ne doit donc pas s’étonner de voir les chrétiens d’Orient se porter pour héritiers de la Turquie mourante. Elle a tout fait en 1840 pour qu’il n’y ait plus en Orient aucune force mahométane. Je ne m’en plains pas quant à moi : ce dénoûment au profit du christianisme oriental est celui que je souhaite ; mais je m’étonne que l’Europe y répugne, l’ayant préparé dès 1840 et rendu nécessaire.