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et 1848. N’épargnant pas ses fatigues, il gagna la fièvre et mourut à Ispahan le 29 août 1848. Mme Hommaire de Hell, qui avait accompagné son mari pendant une partie de ses voyages, en a rédigé le récit avec une exactitude savante qui tient à la précision des notes de M. de Hell, et avec une grâce et une élégance qui viennent de la personne qui a tenu la plume. M. de Hell n’a sur l’Orient aucune des idées que j’ai depuis longtemps : il croit à l’avenir des Turcs, de la Turquie, et sa politique est toute musulmane. « Nous faisons, dit-il, sur la triste situation des chrétiens d’Orient parmi les barbares de longs discours à la chambre ; nous nous apitoyons sur leur destinée, nous votons des fonds pour les secourir… Cette façon de juger l’Orient était bonne au moyen âge, quand on vivait sous l’empire de l’ignorance et des préjugés ; mais aujourd’hui ce ne sont pas les intérêts des chrétiens qu’il faut défendre, ce sont ceux des peuples musulmans, bien plus en péril. Telle est la voie politique que nous devrions suivre et que je chercherai à faire prédominer à mon retour en France[1]. » L’intérêt de la France, selon M. de Hell, est donc de soutenir la Turquie, parce que la Turquie peut, dans une guerre générale, soutenir efficacement la France. « En voyant la conduite de la France dans toutes les questions relatives à l’Égypte, à la Grèce et au pachalik de Tunis, je me demande souvent quelles peuvent être les vues de notre gouvernement quand il agit comme il le fait, car je ne trouve dans ses actes qu’ineptie, absence de toute logique et profonde ignorance des intérêts nationaux. Quels sont en définitive les ennemis que la France peut avoir à redouter dans le cas d’une conflagration générale ? Évidemment ce sont les Russes sur terre et sur mer, et les Anglais sur mer ; dans l’un ou l’autre cas, quelle alliance nous serait la plus profitable ? Le simple bon sens indique tout d’abord la Turquie, qui peut nous offrir une flotte déjà puissante, les moyens d’anéantir le commerce de la Russie méridionale et de donner la main à toutes ces populations vaincues, mais non soumises, qui sont impatientes de secouer le joug moscovite. La Turquie nous serait également d’une immense ressource contre l’Angleterre, en mettant de notre côté les populations méditerranéennes, qui désirent vivement une union sérieuse avec la France. En face de pareilles éventualités, notre gouvernement n’aurait qu’une voie politique et rationnelle à suivre, celle d’étendre de tout son pouvoir notre influence en Orient et dans tous les bassins de là Méditerranée et de la Mer-Noire. Au lieu de cela, nous vivons au jour le jour, à la

  1. Voyage en Turquie et en Perse, exécuté par ordre du gouvernement français en 1846-1847-1848, par M. Hommaire de Hell, p. 407.