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et de montagnes, le Soudan est en partie le lit d’une ancienne mer. De l’autre côté de l’équateur s’étend une série de lacs, entre lesquels l’Uniamesi et le N’gami tiennent les premières places. Voilà pour les conquêtes géographiques. Elles sont considérables. Cependant il reste beaucoup à faire aux futurs explorateurs pour compléter la connaissance topographique de tout le continent. Sans parler des sources du Nil, dont nous approchons, mais sans encore les toucher, et de beaucoup de points obscurs dans les régions mêmes qui viennent d’être parcourues, il y a entre le 8e parallèle nord et le 10e parallèle sud environ une masse compacte dont le centre est entièrement inexploré. Sur sa lisière orientale se sont révélés les pics Kenia, Kilimandjaro, Amboloba ; à son rivage, du côté de l’Atlantique, viennent déboucher le Zaïre, le Couanza et dix autres grands fleuves, mais sans qu’on sache jusqu’où et dans quelle direction ces montagnes se prolongent, ni de quels sommets découlent ces fleuves. Si le Niam-niam, cet homme à queue dont l’existence a été l’objet de discussions très sérieuses, n’est pas un mythe, si la nature garde encore quelques échantillons ignorés des monstres qu’elle enfanta jadis dans ses convulsions, c’est dans cette zone inconnue, sous l’équateur africain, qu’il faut les aller chercher. C’est là, qu’aujourd’hui se trouve la dernière grande lacune de nos cartes d’Afrique.

Puis, quand le sentiment de curiosité qui nous promène à travers tous les recoins de notre domaine terrestre aura obtenu, même en Afrique, une entière satisfaction, quand nous aurons délimité et inscrit toutes les divisions topographiques de ce continent, après l’œuvre géographique viendra celle non moins considérable qui est réservée au commerce et à la civilisation : car, dans le vaste échange de services que les hommes sont appelés à se rendre en se mêlant d’une extrémité de la terre à l’autre, si l’Afrique promet à nos diverses industries des débouchés, et fournit, par la variété de ses produits, un aliment inépuisable à notre commerce, elle a droit en échange à ce que nous fassions de consciencieux efforts pour introduire au milieu des peuplades barbares qui l’habitent des élémens salutaires de morale et de civilisation. En Amérique et en Australie, les races européennes se sont établies dans les plus riches parties du sol après avoir anéanti ou refoulé les peuplades indigènes. Aujourd’hui il n’en saurait être de même, notre temps répugne à ces immolations d’une race à l’autre ; d’ailleurs les populations sont trop serrées et trop compactes dans les régions fertiles de l’Afrique pour que, en s’établissant sur leur territoire, on ne soit pas obligé de compter avec elles.

Mais ici se présente une question très grave et très controversée : les nègres sont-ils susceptibles de civilisation ? Si pour juger cette question on prenait pour exemples les peuplades anarchiques du Mozambique, du Congo, ou même Haïti, le principal lieu où les nègres, livrés à eux-mêmes, aient prétendu s’organiser à l’image des sociétés européennes, la décision ne se ferait pas attendre ; il serait seulement à craindre qu’elle ne fût pas juste. Les nègres du Congo et du Mozambique, ces malheureux dont le type est aussi hideux que leur moral est d’ordinaire perverti, ont été corrompus par le contact des Portugais et du rebut des Européens, aventuriers, négriers et matelots, qui s’en allaient leur enseigner tous les vices, leur donner le goût des boissons fortes, et les exciter, dans la pensée de faire prospérer