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croise et s’attache sur la poitrine ; les femmes riches seules en jettent une seconde sur leurs épaules. « De leurs vertus domestiques, dit M. Barth, je ne saurais trop parler ; ce que l’on en dit n’est pas à leur avantage. Les divorces sont aussi fréquens que les changemens d’inclination. »

Cependant notre voyageur était toujours retenu sur les bords du Shari, et sa position devenait chaque jour plus critique. Au retour d’un messager envoyé au lieutenant gouverneur de Masena, le chef du village de Mêlé lui enleva ses armes, ses instrumens, tout son bagage, le retint prisonnier et pendant quatre jours le mit aux fers dans sa tente. Le crédit d’un des amis puissans qu’il avait su se créer même dans ce pays lui fit rendre la liberté et accorder la permission de se diriger sur Masena, qui est située à une faible distance dans l’est. Cette capitale est, ainsi que presque tout le pays, dans un état de décadence et de ruine qui résulte de longues guerres civiles. L’affaiblissement du Bagirmi a été mis à profit par ses voisins, et tantôt le Waday, tantôt le Bornu l’ont rendu tributaire. Le sultan actuel, qui s’appelle Abd-el-Kader, ainsi que le sultan d’Aïr, livre annuellement cent esclaves au cheik Omar.

Le souverain de Masena accorda deux audiences au voyageur, et le traita beaucoup mieux que ne l’avaient fait ses officiers. Il est vrai que le don d’une montre à répétition de Nuremberg, entre autres présens, contribua à l’animer de bonnes dispositions. Il s’informa si le chrétien n’aurait pas apporté un canon, et, sur sa réponse négative, lui demanda s’il en saurait fabriquer un. Il voulut lui faire accepter une belle esclave et un chameau, et sur son refus de recevoir autre chose que des échantillons de produits du pays, il lui envoya un nombre de robes considérable. Enfin, après un mois de délais et d’hésitations, il l’autorisa à retourner au Bornu. Depuis que l’impossibilité de remonter aux sources du Shari ou de pénétrer au Waday était démontrée, Barth n’avait plus d’autre désir que celui de retourner sur ses pas. Ce fut donc avec une vive satisfaction que le 10 août il se mit en marche dans la direction de Kukawa.

Un cruel événement, une douleur que rien ne pouvait égaler, l’attendait dans cette ville : son unique compagnon, son compatriote, allait mourir dans ses bras. La saison des pluies avait été très préjudiciable à la santé de M. Overweg. Barth fut frappé, en revoyant son ami, de l’altération de ses traits. Il essaya de l’arracher aux influences pernicieuses de la plaine qui entoure Kukawa. Overweg commit une grave imprudence : un jour, en poursuivant des oiseaux d’eau, il fut mouillé et garda jusqu’au soir ses vêtemens trempés sur son corps. À partir de ce moment, son sort fut décidé : il se coucha pour ne plus se relever.

Quant à Barth, il avait parcouru les régions les plus difficiles et vu tomber successivement ses deux compagnons ; isolé, accablé de fatigues, il avait enfin droit au repos. Il avait découvert des routes nouvelles, noué des relations avec des chefs lointains, recueilli une ample moisson d’observations de toute nature ; il avait assez fait pour sa gloire et bien rempli sa mission : il pouvait se tourner vers sa patrie, où l’appelaient ses amis et son vieux père ; mais dans l’ouest il y a encore un problème important à résoudre. Il s’agit de déterminer une portion du cours que suit le grand fleuve de