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que Barth atteignit Kukawa, bien résolu à conduire jusqu’au bout son entreprise malgré les dangers trop évidens qu’elle présentait. Overweg ne tarda pas à le rejoindre après avoir traversé la ville jadis illustre de Gober et le pays en partie sauvage de Mariadi, où quelques tribus païennes ont réussi, par leur courage et leur opiniâtreté, à échapper à la domination des Fellani. Il montra la même fermeté. Les deux compatriotes furent reçus avec une grande bienveillance par le cheik de Bornu et par son vizir ; les relations d’amitié entamées jadis par l’expédition de 1825 furent reprises, et un traité de commerce avec la Grande-Bretagne fut signé. Toutefois une cause de dissentiment se glissa au milieu de ce bon accord : le cheik avait retenu les bagages de Richardson, parmi lesquels se trouvaient les subsides et toutes les ressources de l’expédition ; il en avait fait dresser un très exact inventaire, mais il refusait de rien restituer, et éludait toutes les réclamations des deux voyageurs. Ce ne fut qu’après de nombreuses démarches que ceux-ci purent rentrer en possession de leur bien, encore y en eut-il une partie notable qui dut être abandonnée. La montre de Richardson avait surtout tenté le cheik ; il en parait sa ceinture, ne la quittait ni jour ni nuit, et le vizir fit entendre à M. Barth qu’il ferait sagement de ne pas la réclamer. À part ce nuage, la réception faite aux voyageurs fut, comme nous l’avons dit, très bienveillante. Ils eurent la jouissance d’une maison spéciale, destinée à servir de séjour aux envoyés et aux voyageurs futurs de l’Angleterre. Les habitans montrèrent envers eux beaucoup de cordialité, et Barth put se créer un grand nombre d’amis, dont les entretiens lui fournirent, selon son usage, de précieux renseignemens. Au nombre des plus intimes se trouvait le vizir Haj-Beshir, ministre favori du cheik Omar et après lui le plus important personnage du Bornu. Ce n’était pas un ministre intègre et de vertus accomplies : il était peu courageux, peu actif, très intéressé, et généralement détesté des courtisans, qu’il s’aliénait sans mesure par ses abus de pouvoir. Sa passion dominante était celle des femmes ; son harem, qui n’en contenait pas moins de trois ou quatre cents, était une sorte de musée ethnologique, tant il contenait de filles de tribus et de pays divers. Haj-Beshir avait jusqu’à une Circassienne, et ce n’était pas de celle-là qu’il était le moins fier. M. Barth, qu’il écoutait fort volontiers, car il avait aussi des qualités, et entre autres celle d’aimer à s’instruire, lui remontrait souvent qu’il devrait mieux protéger les frontières septentrionales du Bornu contre les Tawareks, dont les bandes déprédatrices s’avançaient jusqu’aux bords du Tsad. Le voyageur tâchait en outre de lui donner quelques leçons d’économie politique ou d’administration. Le ministre convenait de l’utilité des avis, de la justesse des observations de son ami européen, et s’engageait à faire de son mieux ; mais il ne tardait pas à retomber dans son indolence, et il lui en coûta cher. Il perdit d’un coup sa place et ses femmes, et périt peu après misérablement. Cette catastrophe eut lieu en 1853. Un frère du cheik Omar, du nom d’Abd-el-Rahman, se révolta. Omar, expulsé un instant, reprit ensuite le dessus : il rentra dans Kukawa, tua son frère et se ressaisit du pouvoir ; mais dans la lutte le pauvre vizir avait été pris par ses ennemis, qui lui avaient tranché la tête.

L’histoire du Bornu, à laquelle M. Barth a consacré de très profondes