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distance ; mais le gouverneur est en outre entouré d’un conseil qu’il doit consulter dans les circonstances importantes. Les campagnes qui avoisinent la ville et qui l’alimentent d’indigo et de coton sont fertiles et bien cultivées ; on les appelle le jardin de l’Afrique centrale. Les esclaves y sont très nombreux, mais là, ainsi que dans les autres états du Soudan et en général dans tous les pays musulmans, on les traite avec beaucoup de douceur.

Les embarras financiers furent le plus grave souci de M. Barth pendant son séjour à Kano ; toutefois il était parvenu à contracter quelques emprunts auprès des gens de sa caravane ou des amis noirs qu’il s’était créés dans le pays, et il avait eu bien soin de tenir en réserve les présens destinés au puissant gouverneur de Kano et à son frère, vizir et premier dignitaire de sa cour, afin d’échapper aux difficultés qui l’avaient arrêté à Katsena. Il offrit au premier une sorte de burnous noir orné de broderies de soie et d’or, plus un bonnet rouge, un châle blanc avec une belle bordure rouge, une pièce de mousseline blanche, de l’huile de rose, une livre de clous de girofle, du benjoin, un rasoir, des ciseaux, un petit couteau fermant, un grand miroir, et le vizir reçut un présent à peu près semblable. On voit qu’il ne faut pas se présenter les mains vides devant les majestés africaines. Libre de poursuivre sa route, et guéri à peu près d’une fièvre persistante dont il avait longtemps souffert, le voyageur continua sa route de l’ouest à l’est, vers le Bornu et la ville capitale Kukawa, où les anciennes relations du souverain avec Oudney, Denham et Clapperton promettaient à l’expédition anglo-germaine une réception amicale. Barth avait franchi à Gummel la frontière du Bornu, traversé la province, la ville importante de Mashena, et accompli une grande partie de son itinéraire quand il reçut la douloureuse nouvelle de la mort de M. Richardson.

Celui-ci, parti du Damergu au milieu de janvier, comme ses compagnons, avait atteint Zinder, ville de dix mille âmes, située à l’est de Tasawa et dépendante du Bornu. De là il dirigea ses bagages sur Kukawa, dont, à cause de l’affaiblissement déjà sensible de ses forces, il ne put prendre le chemin qu’après un mois de repos. Il voyageait à cheval, et les alternatives de chaleur brûlante dans le jour et de froid assez vif pendant la nuit étaient très préjudiciables à sa santé. Il changea de monture, troqua son cheval, qui le fatiguait, contre un chameau, se traita à sa guise, en prenant quelques médecines, sans connaissance exacte ni de sa maladie ni des remèdes qui pouvaient lui convenir, et poursuivit sa route ; mais de station en station il était plus malade et plus épuisé. Arrivé au village de Ngurutuwa, à quelques journées seulement de la capitale du Bornu, il se sentit à bout de forces et comprit qu’il n’irait pas plus loin. Il fit dresser sa tente se coucha, et dit à son serviteur qu’il allait mourir. En effet, trois jours après, dans la nuit du 4 mars 1851, il rendait le dernier soupir. Lorsque M. Barth reçut cette triste nouvelle, il prit aussitôt la route de Ngurutuwa. Il trouva la tombe de Richardson placée à l’ombre d’un grand arbre et entourée d’une haie vive. Les naturels savaient qu’un chrétien était enterré là ; ils étaient pleins de respect, et Barth fit quelques petits présens à l’un d’entre eux qui promit de prendre soin du tombeau de l’homme blanc.

Ce fut l’esprit plein des graves réflexions causées par ce douloureux épisode