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qui, même en Italie ou en Gaule, attirerait l’attention des voyageurs. Il est vrai que près de là s’élève Ghariya, qui fut une station romaine fortifiée, comme l’attestent des tours, des murailles ornées de sculptures, et une porte massive, d’un très beau travail, ouvrant encore son large plein-cintre, surmontée d’une couronne dans laquelle est gravée la légende très lisible : PRO. AFR. ILL. (provincia Africæ illustris). Le caractère général de ces constructions et les débris d’une inscription attestent qu’elles ne sont pas postérieures au règne d’Alexandre Sévère. Auguste, les Antonins, les Sévères, telles sont les époques où la vie et la civilisation débordèrent des fertiles rivages de la Méditerranée jusque dans le désert, et où ces merveilleux artistes de l’antiquité, en qui semble avoir été inné le goût des proportions et de l’harmonie, semaient d’une main prodigue les chefs-d’œuvre si loin de l’Italie. Ghariya est à un peu plus du 30e degré de latitude nord et sur la limite du Hammada, région dont le nom signifie plaine de sables. Une vieille coutume veut qu’à l’entrée de cette plaine les pèlerins venant du nord, et qui n’ont jamais franchi les barrières du Sahara, ajoutent leur pierre à un monceau que depuis des siècles y accumulent les voyageurs. Ainsi firent nos Européens, et s’engageant dans ce Hammada sablonneux, sans eau, et coupé de peu de wadis, ils atteignirent la ville relativement grande de Ederi, bâtie dans une situation pittoresque sur le flanc d’une montagne et entourée de jardins. Au-delà de Jerma, située dans une fertile oasis, et qui paraît être l’antique Garama de Pline et de Strabon, ils virent le monument le plus méridional de la domination romaine. Enfin, dans les premiers jours de mai, ils atteignirent Murzuk, d’où ils ne repartirent qu’au milieu de juin.

La cause de ce long délai était dans la difficulté de se procurer une escorte et d’obtenir des sûretés pour traverser sans péril la partie du désert où règnent les Tawareks. Le projet de nos voyageurs n’était pas d’aller en ligne droite au Soudan, mais bien de visiter, en inclinant vers le sud-ouest, une contrée qui, dans le désert même, présente un grand degré d’intérêt, l’état d’Aïr et sa capitale Agadès, où pas un Européen encore n’avait pénétré. Les principales étapes de ce grand trajet devaient être les oasis de Ghat, Asiu et Tintellust. Comme Murzuk est un des principaux entrepôts du commerce qui se fait à travers le désert et le point où se rencontrent la plupart des caravanes qui sillonnent le Sahara, M. Barth et ses compagnons trouvèrent à se placer sous la protection de quelques marchands appartenant à la tribu des Tinylkum, laquelle a le monopole des transactions entre le Tripoli et le Soudan.

La population de l’Afrique septentrionale, particulièrement celle du Fezzan et des oasis, appartient à la grande famille berbère, issue du mélange d’individus de la race sémitique avec des tribus indigènes. Son établissement remonte à des temps dont l’histoire n’a pas gardé le souvenir. Libyens, Numides, Maures, Gétules, tous ces peuples de l’antiquité sont des Berbères : mais les Arabes vinrent : ils refoulèrent les uns, se mêlèrent aux autres, et imposèrent à la plupart leurs croyances. Cette révolution paraît s’être accomplie vers le milieu du XIe siècle de notre ère. Parmi les vaincus berbères que la conquête arabe chassait devant elle se trouvaient les nombreuses tribus qui aujourd’hui font la loi au désert, et que l’on désigne sous le nom commun