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d’Auxonne. La rive gauche de ce fleuve appartenant tout entière à l’ennemi, il n’aurait eu d’intérêt à le franchir au nord de la Tille (où commençait le territoire éduen) que pour appuyer ses ponts à un endroit de la rive droite qui dépendît de ses alliés ; mais quand il s’agissait d’un fleuve tel que la Saône, et dans les circonstances où il se trouvait, vis-à-vis d’un ennemi qui lui était si inférieur dans toute la partie scientifique de la guerre, cette considération n’avait pas assez d’importance pour lui faire modifier sérieusement son itinéraire. Or, pour atteindre le but qu’il se proposait, porter secours (ferre subsidium) à la Province, la meilleure (quo facilius), presque la seule route qu’il pût suivre était la suivante : descendre la vallée de la Tille, passer à Dijon, dernier point important du pays lingon, traverser la Saône près de Saint-Jean-de-Losne, le Doubs entre Navilly et Chaussin, la Seille vers Louhans, puis filer entre le Jura et les marais (aujourd’hui transformés en étangs) du pays de Dombes pour franchir l’Ain à Pont-d’Ain et le Rhône à Lagnieux. Il n’était pas de voie plus directe pour gagner la plus menacée, la plus essentielle à conserver des frontières romaines, celle qui était confiée aux Allobroges. C’était même la plus courte pour aller repousser les attaques dirigées contre l’ouest de la Province. Nulle part on ne pouvait trouver plus de facilités pour nourrir hommes et chevaux, car c’est dans cette belle vallée, et non dans les montagnes du Jura, qu’il faut chercher le véritable ager Sequanicus, renommé pour sa fertilité[1]. Stratégiquement, l’avantage était encore plus marqué, car le flanc droit de la colonne romaine était bien couvert par la Saône, et si la grande armée gauloise, en la supposant restée en Bourgogne, voulait franchir ce fleuve, on était assez rapproché pour l’écraser pendant le passage. Si cette armée était déjà postée à Alaise, on la forçait à venir chercher le combat sur un terrain qu’elle n’avait pas choisi, ou à laisser passer l’ennemi sans coup férir. Il se pouvait encore que la seule indication de ce mouvement fût suffisante pour dégager les Allobroges ; César pouvait alors changer brus-

  1. « Tertiamque partem agri Sequanici qui esset optimus totius Galliæ. » B. G., i, 31, M. Quicherat, faisant application de cette phrase à la partie montagneuse de la Séquanaise, c’est-à-dire au Jura, ajoute : « C’est la situation dans laquelle, il y a vingt-cinq ans, la Kabylie se trouvait à l’égard de l’Algérie. » M. Quicherat n’a pas été exactement renseigné, et si le Jura au temps de César ressemblait à la Kabylie, c’était un pays peu fait pour attirer l’armée romaine. La Kabylie n’est pas ce qu’on peut appeler un pays fertile. On y trouve des eaux abondantes, de belles forêts, de magnifiques oliviers, une assez grande variété d’arbres fruitiers, mais pas de grands troupeaux et fort peu de céréales ; elle ne nourrit pas ses habitans. Chaque année, à l’époque de la moisson, les Kabyles descendent en bandes nombreuses dans les plaines de Constantine, Sétif, la Medjana, Hamza, etc., et louent leurs bras pour la récolte aux cultivateurs arabes, moyennant une rétribution en grains qui seule assure pour l’hiver la subsistance des montagnards.