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Cependant on ne pouvait dans les ténèbres diriger aucune manœuvre effective. La résidence était sauve, les routes gardées, les ponts garantis de toute attaque. On demanda des renforts, et on attendit le jour. À l’aurore du 31 mai, on put mesurer l’étendue de la catastrophe et les ressources qu’elle laissait. Autour des compagnies du 32e, environ cent hommes du 71e et deux cent vingt du 13e (cipayes) s’étaient ralliés, puis le 7e de cavalerie indigène, moins les déserteurs dont nous avons parlé. Ces forces se portèrent en avant, vers les lignes occupées la veille par les régimens révoltés. De celles du 13e, une cinquantaine d’hommes environ sortirent l’un après l’autre, se vantant d’avoir sauvé les magasins. Les révoltés, on l’apprit alors, s’étaient jetés du côté de Modkipore pour aller piller les cantonnemens de la cavalerie. Ils y avaient trouvé un pauvre cornette, retenu au lit par la maladie, et l’avaient impitoyablement assassiné. Cet officier avait dix-sept ans et n’était au corps que depuis trois jours. Arrivées à Modkipore, qui était déjà évacué par les insurgés, les troupes qui les poursuivaient trouvèrent encore chaud le cadavre du malheureux jeune homme. Le sang coulait goutte à goutte de ses blessures. Une boucle de cheveux de femme, — quelque gage d’amour sans doute, — pendait encore à son cou. On avait coupé un de ses doigts, auquel probablement quelque bague était passée.

Les rebelles, au nombre d’environ douze cents hommes, renonçant à l’idée de pénétrer dans Lucknow, s’éloignaient décidément vers le nord. La cavalerie et l’artillerie, lancées sur leurs traces, les rejoignirent sur l’hippodrome, où ils étaient en bon ordre. Quelques coups de canon les dispersèrent, et ils se mirent à gagner pays, profitant, pour s’échapper, de l’agilité proverbiale des cipayes. Bientôt ils furent hors de la portée des boulets. La cavalerie seule, galopant autour de leurs détachemens, put ramener une soixantaine de prisonniers, et sabrer sur place quelques fuyards qui essayaient de tenir bon. Cette poursuite, commencée au point du jour, cessa bientôt, à cause de l’excessive chaleur. À dix heures du matin, la petite expédition était rentrée dans les cantonnemens. Le soir du même jour, 31 mai, une émeute éclatait du côté d’Hoseinabad, à l’ouest de la Muchie-Bhaoun. L’étendard du prophète fut arboré, des fanatiques appelaient aux armes la populace musulmane ; mais la police indigène fit son devoir : ce mouvement fut réprimé, l’étendard de Maho-