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la révolte des cipayes (c’est ainsi qu’on s’applique, en Angleterre, à qualifier l’insurrection de 1857), ceux d’entre les anciens soldats du roi d’Oude qui n’avaient pas trouvé à s’enrôler dans les bandes des taloukdars devaient être réduits à ces dures extrémités que le poète qualifie de « mauvaises conseillères. »

Jusqu’alors tout était resté dans un calme absolu, qui avait complètement abusé les autorités anglaises. Ni les quarante mille soldats licenciés, ni les taloukdars et leurs cent mille satellites, ni la population suspecte des grandes villes du pays, comme Lucknow ou Fyzabad, n’avaient fait entendre une seule plainte. Par le fait, l’annihilation de la vieille royauté dynastique n’était un véritable grief pour aucune des grandes classes d’habitans. On avait supporté les nababs en les méprisant ; on les voyait tomber sans regret. Mais si par là aucun intérêt vital ne se trouvait froissé, il n’en était pas de même de l’application du nouveau régime. Dans la capitale par exemple, la cour, brusquement dépossédée, laissait en souffrance toutes les industries plus ou moins légitimes qui alimentaient ses vices abjects et capricieux, ses goûts insensés. De même, si l’on dit vrai, que les perruquiers se montrèrent à Paris en 1789 les plus ardens ennemis de la révolution, de même le gouvernement anglais à Lucknow, en 1856, dut compter parmi ses adversaires tout ce ramas de bétail humain qui s’entasse en Orient autour d’un zenanah royal. Ceci, à tout prendre, n’eût été qu’un inconvénient et non pas un danger : il n’y avait pas à en tenir compte ; mais il eût fallu au contraire, — l’événement l’a prouvé, — prendre en grande considération l’attitude réservée et les sourdes rancunes des taloukdars.

Ils se sentaient menacés dans leur indépendance graduellement conquise, et menacés aussi dans leurs intérêts, dans la possession de ces grands domaines agrandis per fas et nefas. Cependant aux premiers jours pas un ne bougea. Ils voulaient d’un côté apprécier au juste la situation qui allait leur être faite par le nouveau pouvoir ; de l’autre, calculant leurs chances, ils comprenaient qu’il n’y avait pas pour le moment de résistance utile à tenter. Le pays, en vue de l’agitation qu’aurait pu y produire le changement politique accompli, avait été fortement occupé. Les agens anglais, rassurés par le calme profond qui régnait autour d’eux et par la présence des bataillons qu’on avait mis en marche pour les soutenir au besoin, ne gardèrent pas, vis-à-vis de cette puissante aristocratie terrienne, les ménagemens auxquels elle était habituée. Le roi d’Oude, d’autant moins exigeant qu’il se sentait plus faible, n’était pas pour elle un créancier incommode. Il atermoyait le paiement de l’impôt, il accordait remise des arrérages accumulés, il acceptait en équivalens