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vient paître son troupeau. Après un certain temps, le sol, ainsi fréquenté, acquiert un renouvellement de puissance productive qui provoque une nouvelle culture. D’ailleurs le gouvernement demande moins de loyer de cette terre améliorée, mais dont la possession est si précaire. Il donne quittance de tous les arriérés de bail ou de taxe dont elle est la garantie hypothécaire ; souvent il la concède pour plusieurs années à titre gratuit. Il s’appauvrit d’autant, sans que le cultivateur y ait le moindre gain. Le dommage fait se compense tant bien que mal, et voilà tout.

Pour peu qu’on suive de fait en fait les conséquences inévitables d’un pareil désordre, il est aisé de comprendre pourquoi le pays d’Oude est si essentiellement un pays guerrier. De tous côtés, des forteresses cachées parmi les bambous, dans les jungles qu’on s’abstient tout exprès de défricher ; des partis errans, des bandes de pillards auxquelles on en oppose d’autres ; le gouvernement obligé de recouvrer une partie de ses contributions à force ouverte ; la police organisée en guérillas ; une foule d’hommes sans autre vocation, sans autre industrie que le maniement du tulwar ou du mousquet à mèche ; les enfans de village se donnant pour passe-temps favori la construction et la prise de petites fortifications pétries dans l’argile ; puis, brochant sur le tout, le recrutement pour l’armée de la compagnie, pratiqué là sur une plus grande échelle que dans aucun autre pays de l’Inde. « Sur la portion du territoire d’Oude qui nous fut cédée en 1801, dit le colonel Sleeman, cette classe d’hommes d’armes, de condottieri, a presque disparu. C’est donc seulement dans l’autre moitié qu’ont été enrôlés près de cinquante mille officiers ou cipayes que ce pays a fournis à l’armée indigène. À peine, chez nous, en a-t-on levé cinq mille. »

Ici se présente l’objection que nous faisions pressentir plus haut. Comment, sous l’influence anglaise, — dont le traité de 1801 nous révèle l’étendue, à vrai dire illimitée, — un régime aussi abusif avait-il pu se maintenir et se développer ? C’est justement un résident anglais, un homme investi de l’autorité la plus redoutable et la plus efficace, qui nous dépeint ces désordres, cette dégradation, qui les signale à son gouvernement, et n’y voit d’autre remède que l’annexion du royaume d’Oude. N’a-t-on pas le droit de lui demander si, avant de recourir à cette flagrante violation des traités, il a épuisé tous les moyens de prédominante influence qui étaient en ses mains ? Où est la preuve qu’il a exigé le renvoi de ces ministres corrompus dont il signale les concussions éhontées ? Établit-il,-bien ou mal, qu’il ait pris à cœur l’anéantissement de cette puissance illégale que les taloukdars s’étaient arrogée ? qu’il ait tenté de déjouer les fraudes au moyen desquelles ils agrandissaient leurs domaines et