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on l’accusa de mauvaise foi, presque de trahison, et on lui fit entendre qu’un châtiment sévère pourrait bien mettre un terme à des tergiversations inutiles. Bref, sous la main de fer qui l’étreignait, le malheureux prince dut céder. On lui imposa l’abandon d’un territoire dont les revenus étaient l’équivalent des services que lui rendraient les troupes anglaises, mises désormais gratuitement à sa disposition. Les troupes indigènes devaient être licenciées. Quant au territoire sur lequel le vizir semblait, une fois ces conditions accomplies, conserver tous ses droits, on lui déclara nettement qu’on n’entendait pas qu’il y pût exercer une autorité indépendante. « N’oubliez pas, écrivait lord Mornington au résident anglais, n’oubliez pas que mon principal objet a été bien moins d’assurer le paiement régulier du corps auxiliaire que d’annuler le pouvoir militaire du vizir. » Celui-ci comprenait de reste sa situation, et cherchait à s’y dérober par tous les expédiens imaginables ; mais aux raisonnemens spécieux de la diplomatie anglaise, tels qu’on les imagine sans peine : — bon ordre rétabli dans le royaume, appui constant de la Grande-Bretagne, sécurité absolue pour le souverain, — des menaces directes venaient prêter leur poids décisif. Les principaux employés de l’administration financière avaient déjà reçu ordre de se tenir prêts à rendre leurs comptes au gouvernement britannique, et un des frères cadets du gouverneur-général (Henry Wellesley) était accouru à Lucknow pour confirmer les altiers protocoles du résident anglais. À toutes les plaintes, à toutes les remontrances, les deux négociateurs restaient sourds, et, à force d’insister, ils finirent, sinon par convaincre le vizir, du moins par le décider à paraître convaincu. Tout ce qu’il obtint en échange de la cession qu’il fit de tous ses droits essentiels fut la permission d’accomplir un pèlerinage qui le dispensât d’assister à l’écroulement de sa puissance et d’entendre les amers reproches que sa faiblesse ne pouvait manquer de lui attirer. Le traité fut enfin signé. Les districts cédés à la compagnie représentaient un revenu d’environ 38 millions (13,523,474 roupies). La compagnie garantissait au vizir et à ses successeurs la possession du surplus de l’Oude avec l’exercice de leur commune autorité. Le vizir s’engageait de son côté à établir dans ses possessions réservées un système, d’administration favorable à la prospérité des habitans, et calculé de manière à sauvegarder soit leurs vies, soit leurs droits de propriété. « Enfin, disait le traité, son excellence le vizir s’engage à consulter sur toutes choses les officiers de l’honorable compagnie, afin d’agir de tous points conformément à leurs conseils. » On ne saurait être plus clair et plus catégorique, et il n’est pas malaisé de voir à quoi se réduisait la souveraineté garantie au nabab-vizir.