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l’honneur de son nom en se montrant supérieur à ses ennemis ; mais Dubois, laïque de la veille, devenu tout à coup archevêque de Cambrai et membre du sacré collège, se faisant conférer en vingt-quatre heures tous les ordres sacrés, depuis la tonsure jusqu’à l’onction épiscopale, Dubois immolant à son ambition toutes les règles de l’église au moment où il s’affublait de ses plus éclatantes dignités, suscita l’indignation des chrétiens et la risée des philosophes, et fut poursuivi avec autant d’acharnement par les uns que par les autres. Aux yeux des premiers, sa promotion fut un scandale ; aux yeux des autres, son sacre fut une cérémonie grotesque. Ceux-ci s’irritèrent surtout de la passion jalouse avec laquelle le nouveau cardinal défendit les prérogatives de sa dignité jusque dans les spasmes de la mort. L’église le rejeta comme un choix indigne, pendant que la philosophie l’injuriait comme un hypocrite et un athée, de telle sorte que sa soutane rouge devint pour Dubois, porté au faîte des honneurs et du mépris, une sorte de tunique empoisonnée qui a dévoré jusqu’à sa mémoire.

Parmi les actes cyniques qui font tache dans la vie du régent, cette promotion est peut-être celui qui a le plus compromis le nom de ce prince devant la postérité, tant il est dangereux de profaner les choses saintes dans les siècles mêmes qui mettent le plus d’ostentation à les dédaigner. Ce systématique divorce avec les idées par lesquelles vivent et grandissent les peuples fut l’irréparable malheur des hommes de cette triste génération. La régence atteignit dans leurs racines toutes les notions de foi, de désintéressement et de pudeur, et les ébranla moins par les spéculations de l’esprit, qui commençaient à peine à naître, que par une corruption de laquelle jaillirent bientôt comme de leur source véritable ces spéculations elles-mêmes. Or ces saintes notions profanées ont des réveils soudains, et, même aux jours où elles semblent le plus oblitérées, elles demeurent assez puissantes pour avoir raison de leurs imprudens profanateurs. De ce duel insensé contre ce que respecteront éternellement les hommes sortit le caractère de décadence imprimé aux personnages et aux œuvres de ce temps par la main de la Providence et par la justice de l’histoire. Devant la postérité, le gouvernement de Philippe d’Orléans a perdu par ses vices tout le terrain qu’il avait conquis par la sagesse de sa politique, et des deux sentimens que nous avons constatés chez les contemporains, c’est le moins favorable au régent qui a survécu : ceci est tellement vrai que c’est presque hasarder une nouveauté que de rappeler aujourd’hui l’existence simultanée de l’admiration et du peu d’estime qu’on professait pour ce prince. La noblesse qui entourait le trône fit dans l’opinion publique une chute plus profonde encore que le pouvoir