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impossible à méconnaître, l’habileté de Dubois et la haute sagacité du prince dont il était plus souvent l’agent que l’inspirateur. À peine l’étranger si fatal à l’Espagne était-il parti pour un exil aussi agité que son ministère, qu’une négociation dont les détails, ont été dérobés à l’histoire, mais qui paraît avoir été directement suivie entre le cardinal Dubois et le père d’Aubenton, confesseur du roi d’Espagne, venait donner à la France une position fédérative plus forte qu’elle n’en avait jamais possédé. L’armée du maréchal de Berwick n’avait pas encore repris ses cantonnemens dans nos provinces méridionales, qu’une nouvelle qu’on aurait la veille qualifiée d’absurde, en songeant aux sentimens que le régent et Philippe V entretenaient depuis si longtemps l’un pour l’autre, éclatait tout à coup sur l’Europe stupéfaite. On apprenait avec une émotion qui fut à Londres voisine de la colère que, du fond du palais où il livrait follement au plaisir les restes de sa vie ; le régent venait, avec un secret que nul n’avait pénétré, de reprendre les traditions des deux précédens règnes, en choisissant une infante pour épouse à Louis XV, et en plaçant deux de ses filles sur les marches du trône d’Espagne. Faire sortir la consécration de l’œuvre de Louis XIV d’une rivalité dynastique et d’une guerre qui semblait en impliquer l’anéantissement, conserver vis-à-vis de l’Europe la bonne attitude prise par le traité de 1718 en revenant à la grande politique de famille par les conventions matrimoniales de 1721, renouer enfin avec l’Espagne en demeurant l’allié de l’Autriche et de l’Angleterre, c’était à coup sûr une grande chose, et je ne sais guère de victoire diplomatique à placer au-dessus de celle-là.

Pendant que la France rétablissait dans le midi son système fédératif, sa médiation amenait la fin de la terrible guerre qui avait si longtemps ensanglanté le nord de l’Europe. Elle négociait la paix de Nystadt entre la Suède et la Russie, trouvant dans les ressources que lui créait l’inépuisable fécondité du contrôleur-général le moyen de subventionner et le tsar victorieux et la Suède, qui avait payé si cher la gloire éphémère d’un insensé. Lorsqu’on met en regard du point d’où était parti ce gouvernement débile le point auquel il était si promptement parvenu, quand on le voit presque aussi puissant par la paix que Louis XIV l’avait été par la guerre, il est impossible de méconnaître l’esprit politique du prince et l’habileté du ministre étroitement associé à sa pensée.

À l’intérieur, le succès avait été plus manifeste encore, car pour les peuples la victoire est plus facile à constater que l’influence. Or la victoire avait été complète, car le régent ne recevait d’aucun de ses serviteurs éprouvés des protestations si chaleureuses que de la part des ennemis qu’il avait abattus et relevés. Le triple mariage