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à envahir le royaume de Naples, et que ses ambassadeurs notifiaient à toutes les cours l’intention où était ce monarque de ne point s’arrêter avant d’avoir arraché l’Italie à l’empereur. Audacieusement bravés par des projets qui, pour être chimériques, n’en demeuraient pas moins déplorables, les signataires du quadruple traité durent aviser. Une flotte anglaise parut dans les eaux de l’Italie, et, après quelques heures d’un combat qui fut à peine soutenu, il ne resta plus un vaisseau de la nombreuse armada sur laquelle Alberoni avait compté pour changer la face du monde.

Une infatuation moins incurable aurait trouvé le plus solennel avertissement dans un désastre que la nullité de la résistance rendit encore plus humiliant qu’irréparable ; mais si ce malheur exaspéra l’Espagne contre l’homme auquel elle pouvait si justement l’imputer, il ne rendit pas celui-ci plus accessible aux bienveillans conseils de la France. À l’offre presque généreuse d’assurer à Philippe V, avec l’intégrité de la monarchie en Espagne et dans les Indes, la prochaine dévolution de la Toscane et de Parme, Alberoni, enfin cuirassé de la pourpre romaine, arrachée aux longues résistances de Clément XI, répondit en envoyant au prince de Cellamare l’ordre de frapper un grand coup et de mettre le feu à toutes ses mèches[1]. Mais Dubois, qui avait conquis le portefeuille des affaires étrangères par la signature de la quadruple alliance, ne s’inquiétait guère plus des forfanteries d’Alberoni que des intrigues où les ordres de Madrid avaient égaré la probité d’un ambassadeur. Les copistes auxquels Cellamare et Mme du Maine confiaient leurs plus secrets manuscrits étaient tous grassement payés par le ministre, et accomplissaient leur besogne dans la plus entière sécurité. Lors donc que l’ordre arriva de mettre le feu aux poudres, l’explosion qui devait anéantir la régence se fit le plus tranquillement du monde dans le bouge de la Fillon.

Le régent retira de cette aventure l’avantage de déshonorer son ennemi en s’honorant lui-même. Pendant que l’on reconduisait courtoisement Cellamare à la frontière et que cet ambassadeur allait porter à Madrid les dernières paroles de bon sens qui purent s’y faire entendre, la duchesse du Maine donnait à M. le Duc, son neveu, la jouissance la plus douce à son cœur, celle de la tenir sous sa garde dans son bon château de Dijon ; mais la princesse ne tarda pas à changer le rôle d’Emilie, qu’elle avait choisi d’abord dans sa conjuration, pour le rôle plus dégagé et plus lucratif de Lisette. Résistant moins à l’ennui qu’elle ne l’avait fait à la crainte, elle donna

  1. Voyez, dans l’histoire de Lémontey, l’extrait des dépêches d’Alberoni trouvées à l’hôtel de l’ambassade espagnole lors de l’arrestation du prince de Cellamare. Tome Ier, ch. V et VII, et tome II, pièces justificatives, page 399.