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jamais envers ses ennemis lorsqu’il eut la ressource de pouvoir les mépriser. Jusqu’à la sanglante exécution de Nantes, l’état menaçant de la Bretagne fut pour les hommes de la vieille cour, les habitués de Sceaux et les salariés de l’ambassade espagnole, l’objet des préoccupations les plus vives et des plus ferventes espérances. Le maréchal de Villeroy admirait fort la résistance des Bretons tout en enseignant à son élève que la France lui appartenait en toute propriété, et du fond de sa retraite claustrale Mrao de Maintenon jetait un dernier regard sur les nuages amoncelés à l’ouest du royaume ; la Bretagne semblait lui préparer sa vengeance[1].

Je demande maintenant au lecteur de se mettre en présence de la situation dont les élémens principaux viennent de passer devant ses yeux. Qu’en se plaçant en face de l’hypothèse si longtemps probable de la mort du jeune roi sans descendance mâle, il mesure, par la pensée les périls que semblaient préparer une succession contestée, des parlemens hostiles, une grande province prête à s’insurger, un prétendant tel que Philippe V et un ministre tel qu’Alberoni ; celui-là résolu à tout sacrifier à son droit, celui-ci cherchant à faire sortir d’un bouleversement général, avec une double restauration en France et en Angleterre, l’abaissement de l’empire et la résurrection nationale de l’Italie ; qu’on pèse de bonne foi tant et de si redoutables éventualités, et qu’on ose dénier au régent le droit de chercher pour sa patrie et pour sa famille des garanties dans une étroite alliance avec le seul cabinet qui eût alors un intérêt direct à défendre l’état dynastique et territorial consacré par les traités !

La conformité des intérêts politiques entre la maison de Hanovre, appelée au trône par une révolution, et la maison d’Orléans, pourvue d’un titre à la couronne par suite d’une renonciation contestée, était tellement manifeste qu’elle fut pressentie même avant la mort de Louis XIV. On peut voir dans Saint-Simon les intrigues pratiquées par les amis personnels du duc d’Orléans, particulièrement par Dubois et par Canillac, pour lier ce prince avec l’ambassadeur d’Angleterre. On sait qu’en témoignage d’adhésion à la régence, et pour la couvrir d’avance d’une sorte de protection ostensible et insolente, lord Stair, qui exerçait ces fonctions à Paris depuis la paix de 1713, s’était montré dans la salle du parlement le jour où cette cour envoya le premier prince du sang en possession de l’autorité royale, comme elle l’aurait fait pour un mince héritage.

Cependant des nuages vinrent promptement s’interposer entre l’ambassade britannique et le gouvernement à peine formé. Mettant

  1. Lettre de Mme de Maintenon, du 24 janvier 1718.