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c’est là que se trouvent les chantiers où l’on construit tous les bateaux qui naviguent sur l’Amour.

C’est au confluent du Sungari que commence l’Amour inférieur : jusqu’à ce point, ce fleuve pénétrait dans des contrées de plus en plus méridionales et par conséquent plus fertiles. Au-delà, il remonte graduellement vers le nord. Jusqu’à l’Ussuri, confluent qui sort encore de la Mantchourie méridionale, la vallée, quoique à peine habitée, présente les indices d’une très grande fertilité ; elle est bordée de beaux pâturages, et nulle part le fleuve n’est plus poissonneux. La vallée de l’Ussuri a été décrite par un missionnaire français, le père de La Brunière, coadjuteur du vicaire apostolique de la Mantchourie. Il y passa tout un hiver à prêcher l’Évangile aux familles tungouses qui l’occupent. La population y est très clair-semée : elle ne dépasse point 800 âmes ; sur ce nombre, on compte 200 Chinois, dont quelques-uns font le commerce, mais dont la plupart sont venus chercher un asile chez les Tungouses. Les habitans de la vallée ont pour occupation principale, après la pêche et la chasse, la recherche d’une racine très précieuse et très rare, qui jouit sans doute de propriétés médicinales, et qui s’envoie en Chine. Un naturaliste russe, M. Léopold Schrenk, a aussi parcouru une partie de la vallée de l’Ussuri, et dans son rapport adressé à l’Académie des sciences de Saint-Pétersbourg, il la représente comme formée de plaines très fertiles, où croissent toutes les plantes et les légumes de l’Europe. Cette année même, les Russes ont dû y fonder leurs premiers établissemens.

Au-delà de l’Ussuri, la vallée s’élargit davantage ; sur les belles plaines que baigne-le fleuve vivent les tribus à demi nomades des Goldes. Ces tribus partagent leur temps entre l’agriculture et la pêche. Leurs mœurs sont d’une extrême douceur, et les Russes qui tirent partie de la première expédition furent étonnés de la complaisance qu’ils mirent à les guider dans les inextricables canaux qui font de tout l’Amour inférieur un véritable labyrinthe. Cette multitude d’îles et de bras y rend la navigation assez difficile, d’autant plus que le courant est quelquefois si fort qu’à la remonte on est obligé de choisir les passages les moins profonds, et qu’alors on court le risque de s’échouer.

Dans la partie extrême de son cours, l’Amour atteint une immense largeur, et en outre il communique avec plusieurs grands lacs. Le fleuve court à peu près parallèlement aux rives de la Manche de Tartarie, depuis le premier de ces lacs, qui se nomme Kisi, jusqu’à son embouchure. Le lac Kisi n’est séparé de la côte que par un intervalle de 16 kilomètres, quoique le fleuve, avant d’aller se jeter à la mer, ait encore, depuis ce point, un parcours de plus de 200 kilomètres.