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naissance à l’Amour proprement dit. Le nouvel établissement prospéra ; la forteresse s’entoura peu à peu de villages ; on cultiva avec succès le froment, le seigle, l’avoine, le chanvre ; de nouvelles familles de paysans venaient chaque année s’y établir, et Tchernigowski reçut sa grâce en récompense de son heureuse tentative de colonisation. On éleva bientôt des avant-postes sur l’Amour et la Zéja, et ces empiétemens nouveaux déterminèrent le gouvernement chinois à tenter, un effort décisif pour chasser les Russes de la vallée de l’Amour. L’empereur Kang-khi fortifia graduellement la Mantchourie, soumit facilement les tribus tungouses, dont les Cosaques avaient fatigué la longanimité. Après avoir détruit tous les avant-postes cosaques, brûlé leurs villages, l’armée chinoise mit le siège devant Albasin ; elle était forte de 15,000 hommes et avait quinze canons : la petite garnison cosaque, qui ne comptait que 450 hommes mal armés et dépourvus de munitions, fut réduite à se rendre, et Albasin fut rasé. Les prisonniers furent emmenés à Péking : leurs descendans y habitent encore, et, quoique devenus entièrement chinois, sont demeurés fidèles à leur religion ; c’est même grâce à cette circonstance que la Russie a obtenu le privilège exclusif d’avoir une mission à Péking : le gouvernement chinois exige seulement que le personnel en soit renouvelé entièrement tous les dix ans.

Le fort d’Albasin fut bientôt reconstruit, et cet établissement n’aurait sans doute pas tardé à reconquérir son ancienne importance, si la destruction complète du fort n’eût été stipulée par le traité qui fut signé en 1689 à Nertchinsk entre le ministre chinois et le prince Golovine. Ce traité marque le début des relations diplomatiques entre le Céleste-Empire et la Russie. Golovine trouva les ambassadeurs chinois, assistés de deux jésuites habiles, Gerbillon et Pereira, à la tête d’une armée de 10,000 hommes. Craignant d’engager la guerre et de mettre en danger les colonies naissantes du lac Baïkal, il consentit à abandonner à la Chine toute la vallée de l’Amour. D’après la lettre du traité, une rivière nommée Gorbitza devait, sur toute sa longueur, servir de frontière ; aujourd’hui, en y regardant de plus près, les géographes sibériens ont découvert qu’il y a deux Gorbitza : l’une qui se jette dans la Schilka, une des sources de l’Amour, et l’autre dans l’Amour même. La première avait longtemps servi de limite, mais en arguant d’une erreur on a pu récemment reculer la frontière jusqu’à la seconde sans enfreindre les traités. Il est certain qu’à l’époque où ces traités furent signés, on n’avait que de grossières notions sur la géographie de cette partie de la Sibérie orientale, et qu’aujourd’hui même on ne la connaît encore que bien imparfaitement. Au-delà de la Gorbitza, la frontière, suivant ces anciennes conventions, devait être tracée par les monts