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batterie contre la forteresse cosaque ; mais dans une heureuse sortie Khabarof s’en empara et réussit à repousser les Chinois. Il jugea prudent néanmoins de remonter le fleuve, afin de se rapprocher de la Sibérie. Arrivé sur la Kamara, un des affluens de l’Amour supérieur, il envoya des messagers à Iakoutsk pour demander un secours de 600 hommes. Il les avait chargés de répandre les bruits les plus exagérés sur la richesse des contrées d’où ils venaient, dans l’espoir d’y attirer le plus d’hommes possible : la renommée de l’Amour remplit bientôt la Sibérie, et toute la population voulait y courir ; on nommait l’Amour la « source de richesse, » le pays qu’il traverse « Chanaan. » A Moscou, l’on projeta une grande expédition en Mantchourie ; Démétrius Zinovief fut envoyé avec 150 hommes auprès de Khabarof, avec mission de discipliner les Cosaques de l’Amour et de tout préparer pour l’arrivée prochaine d’une armée de 3,000 hommes. Zinovief eut quelque peine à vaincre les habitudes de brigandage des Cosaques et à les astreindre aux travaux de l’agriculture. Il revint avec Khabarof à Moscou, après avoir choisi son successeur, Stepanof. Celui-ci alla réunir de grandes provisions de blé sur le Sungari dans l’attente d’une armée russe ; il remonta ce magnifique confluent de l’Amour à une certaine hauteur, mais rencontra bientôt une nombreuse armée chinoise qui le battit et le força à la retraite. Obligé de revenir vers l’Amour supérieur, il s’arrêta à l’entrée de la vallée Kamara, et construisit une fortification qu’il nomma Kamarsk. En 1655, une armée chinoise de 10,000 hommes vint l’attaquer avec quinze canons : l’assaut fut repoussé, et les Chinois furent mis en déroute. À la même époque, un autre chef, Pachkof, était entré dans le bassin supérieur de l’Amour par une route nouvelle ; il avait traversé le lac Baïkal, suivi la Selenga, et était arrivé par les montagnes jusque sur la Schilka. Il fonda en 1658, dans cette partie de la Transbaïkalie, Nertchinsk, depuis si célèbre comme lieu de transportation et centre d’un riche district métallurgique. Pachkof se mit bientôt en communication avec Stepanof, et lui demanda un secours de 100 hommes. À ce moment même, ce dernier était retourné sur le Sungari pour tirer vengeance de sa première défaite ; mais il fut de nouveau battu, ses Cosaques se débandèrent et furent faits prisonniers, 17 seulement parvinrent à joindre Pachkof.

Ce désastre mit pour quelque temps un terme aux expéditions russes du côté de l’Amour. En 1654, un Polonais nommé Tchernigowski tua, au moment où il revenait d’une foire, le palatin Obouchof, et s’enfuit avec ses complices du côté de l’Amour ; il s’arrêta à l’entrée de l’Emuri, dans un lieu inhabité, qui prit le nom d’Albasin. Ce lieu, célèbre dans l’histoire de la Sibérie, est situé à quelque distance du confluent de la Schilka et de l’Argun, qui, en se réunissant, donnent