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sans doute la plus grande masse de peuples pasteurs qu’on puisse trouver sur le globe : pour contenir cette population turbulente et vouée au brigandage, la Russie est obligée d’entretenir un corps considérable de Cosaques. Cette milice est admirablement choisie pour servir d’intermédiaire entre la Russie et les nations demi-sauvages de l’Asie. Par ses mœurs et ses caractères, elle se rapproche des hordes asiatiques, et les rattache graduellement à la civilisation par l’exemple de la discipline et des travaux agricoles. Partout où s’établit un poste cosaque, la terre est bientôt cultivée, les forts s’entourent de champs et de jardins, et il est rare que des tentes kirghizes ne viennent pas se grouper autour de ces villages rudimentaires. Dans les steppes sibériens habités par les Kirghiz, il n’y avait en 1851 pas moins de 31,839 Cosaques enrégimentés.

Rien n’arrête l’extension de la puissance russe sur les vastes plaines situées entre la Mer-Caspienne et le Céleste-Empire. Plus à l’ouest, elle rencontre une barrière naturelle dans cette longue ceinture de montagnes qui s’étend sans discontinuité de l’ouest à l’est, depuis l’Altaï jusqu’à l’Océan-Pacifique. Les chaînes de l’Altaï, si célèbres par leurs gîtes aurifères, sont les Alpes de la Sibérie ; leurs pics les plus aigus s’élèvent jusque dans la région des neiges éternelles. Les plaines sibériennes situées sur le versant nord de l’Altaï n’ont que 160 mètres d’altitude environ, et s’abaissent par une pente insensible jusqu’à l’Océan-Arctique. Les plateaux de l’empire chinois, dont l’Altaï forme en quelque sorte le contre-fort, sont au contraire très élevés, et atteignent jusqu’à 1,000 mètres d’altitude.

Depuis l’Irtish jusqu’au lac Baïkal, la frontière chinoise est fermée. D’après les traités conclus entre le Céleste-Empire et la Russie, la seule route autorisée pour le commerce des deux nations est celle du lac Baïkal ; les transactions qui s’opèrent en d’autres points n’ont qu’un caractère tout à fait précaire. Sémipolatinsk, placé sur l’Irtish supérieur, est le centre principal de ce commerce accessoire ; Biisk, situé sur l’Obi, a aussi avec la Mongolie quelques rapports de peu d’importance. Les transactions commerciales ne peuvent s’opérer dans cette région que par l’intermédiaire même des soldats mongols, dont les postes sont établis sur les affluens de l’Obi. Il n’y a pas une route véritable qui traverse l’Altaï proprement dit pour aller en Chine : on n’y arrive que par des chemins souvent presque impraticables ; quelquefois on est obligé de se frayer des sentiers à travers d’épaisses forêts. On verra combien sont difficiles les communications entre la Sibérie et la Chine par quelques extraits d’une lettre que Castren écrivait en 1847, après une expédition qu’il avait faite au-delà de l’Altaï.