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de la Russie semble donc telle qu’on puisse, sans soulever trop d’alarmes, raconter l’histoire des expéditions les plus importantes qu’elle a faites au-delà de l’Oural pour agrandir la Sibérie et consolider son influence en Asie. Cette histoire a un double intérêt : elle nous instruit d’une part sur l’avenir destiné à la Sibérie, et d’une autre elle nous révèle plus d’un détail précieux sur des régions immenses et jusqu’à ce jour presque ignorées.

Il ne faut pas juger de l’importance d’un empire par sa superficie : la domination sur des déserts n’est qu’une domination nominale, souvent gênante. La Sibérie embrasse une partie considérable de l’Asie ; mais aux latitudes les plus septentrionales elle est entièrement inhabitée. Les grandes routes qui en joignent les différentes provinces, et qu’on parcourt avec une si grande rapidité, ne dépassent nulle part le 58e degré de latitude ; elles réunissent les villes les plus importantes, et traversent les districts les plus peuplés. Au-delà du 60e degré, la plaine immense de la Sibérie qui descend insensiblement vers l’Océan-Arctique est déserte : l’on y trouve seulement quelques établissemens misérables et quelques tribus nomades dans les vallées des grands fleuves qui la sillonnent, et du sud au nord descendent presque parallèlement vers la mer. Ces magnifiques cours d’eau sont fermés au commerce presque toute l’année, et ce n’est que pendant peu de mois qu’on peut en utiliser la puissance. Chacun de ces fleuves est sujet à deux débordemens annuels : une première fois au printemps, au moment où la débâcle des glaces encombre les embouchures, une seconde fois après les grandes pluies. Les inondations de nos contrées n’ont rien de comparable à celles des vallées sibériennes, parcourues par des fleuves d’un immense volume. Les eaux se répandent sur une incroyable largeur ; pendant ce temps, la pêche est impossible, et les tribus qui y trouvent leur unique ressource sont souvent réduites à une extrême détresse. La navigation au contraire prend une remarquable activité, et chaque printemps des bateaux chargés de thé descendent les fleuves avec une vitesse extraordinaire.

L’Irtish, la première des rivières qu’on rencontre après avoir passé l’Oural, formait autrefois, au sortir de la Chine, la limite entre la Sibérie russe et le pays des Kirghiz ; mais aujourd’hui la Russie s’étend très loin sur la rive gauche du fleuve. En réalité, aucune frontière naturelle ne sépare le gouvernement d’Omsk du territoire habité par les tribus nomades ; aucune branche montagneuse ne joint l’Oural aux premiers rameaux de l’Altaï. Ces deux chaînes laissent entre elles de vastes steppes qui unissent, par une sorte de détroit continental, la grande plaine de la Sibérie au pays qui sert de bassin à la Mer-Caspienne et au lac Aral. Les steppes qui entourent