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française et anglaise dans l’Inde n’excitait qu’un médiocre intérêt dans la société polie de Paris, et Louis XV pouvait sans crainte abandonner Dupleix, qui aurait peut-être réussi à conquérir, au profit de la France, le magnifique empire échu à l’Angleterre. De nos jours, on peut dire qu’à des titres divers rien de ce qui concerne l’Asie ne nous laisse indifférens : l’émouvante histoire des conquêtes de l’Angleterre dans l’Inde et des luttes qu’elle y a soutenues est regardée par tous comme une des pages les plus brillantes de l’histoire contemporaine. Les précieux matériaux recueillis par les soins éclairés de la compagnie des Indes et mis en œuvre par l’érudition allemande ont ouvert à l’esprit humain des voies inexplorées. La critique y a retrouvé les origines non-seulement de nos langues, mais des idées religieuses et philosophiques qui, en se transformant à travers les âges, sont devenues le patrimoine des nations civilisées. Enfin les relations commerciales avec l’Inde et la Chine ont pris depuis cinquante ans une importance toujours croissante, et l’on se préoccupe sans cesse des moyens de les multiplier. La politique, la science, l’intérêt, tout se réunit donc pour attirer l’attention sur les expéditions dont l’Asie est le théâtre.

Malgré les travaux et les voyages modernes, la géographie de ce vaste continent est encore, dans beaucoup de ses parties, restée pour nous un mystère : la politique défiante des souverains de la Chine, le caractère sauvage des hordes nomades qui habitent le bassin de la Mer-Caspienne et du lac Aral, les obstacles que la nature oppose aux voyageurs dans les steppes de la Tartarie indépendante, les montagnes qui défendent les plateaux élevés de l’Asie centrale, voilà bien des motifs qui peuvent faire comprendre et excuser cette ignorance. Le Céleste-Empire, protégé par des barrières naturelles, n’a jusqu’ici été trouvé vulnérable que sur les côtes, et cinq ports seulement, comme on sait, y sont ouverts au commerce. C’est principalement pour remédier à l’insuffisance et au caractère précaire de ces relations que des forces anglo-françaises ont été récemment débarquées sur le territoire chinois. Pendant que l’attention générale est dirigée sur cette nouvelle tentative, il ne sera peut-être pas sans intérêt de montrer comment la Russie de son côté travaille à multiplier ses rapports avec la Chine et recule graduellement ses frontières asiatiques.

Dans la Sibérie occidentale, l’influence russe s’étend de plus en plus sur les régions qui avoisinent le Turkestan chinois ; dans la Sibérie orientale, l’empire des tsars vient de s’annexer l’immense bassin du fleuve Amour, plus grand que le territoire entier de la France. La frontière asiatique de la Russie s’étend depuis le Caucase jusqu’à la mer d’Okhotsk, et sur cette vaste étendue touche à des