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mêlée, où bientôt elle se sentit aussi rassurée qu’elle avait le droit de l’être par sa grâce et sa légèreté.

— Eh bien ! je crois que je n’ai plus peur, lui dit-elle en revenant à sa place, pendant que l’autre quadrille entamait une nouvelle figure.

— Vous voilà beaucoup trop brave, lui répondit Cristiano. J’espérais vous être bon à quelque chose, et je vois que vous sentez si bien pousser vos ailes, que tout à l’heure vous vous envolerez avec le premier venu.

— Ce ne sera toujours pas avec le baron ! Mais dites-moi donc pourquoi vous supposiez que j’exagérais mon éloignement pour lui ?

— Eh ! mon Dieu ! je vois que vous aimez passionnément le bal, c’est-à-dire les fêtes et le luxe : toute passion entraîne ses conséquences. Or, si le plaisir est le but, la richesse est le moyen.

— Eh ! me trouvez-vous si sotte et si mal faite que je ne puisse prétendre à la fortune sans épouser un vieillard ?

— Alors vous avouez que la fortune est pour vous la condition du mariage ?

— Si je disais oui, que penseriez-vous de moi ?

— Rien de mal.

— Oui, je serais comme tant d’autres, et vous ne penseriez par conséquent de moi rien de bon ?

Cette conversation délicate fut reprise au troisième intervalle de repos du quadrille dont nos deux jeunes gens faisaient partie.

Marguerite provoquait la sincérité de Cristiano. — Avouez-le, disait-elle ; vous méprisez les filles qui se marient pour être riches, comme Olga, par exemple, qui trouve le baron fort beau à travers les facettes des gros diamans de ses rêves.

— Je ne méprise rien, répondit l’aventurier ; je suis né tolérant, ou les facettes de ma vertu, à moi, se sont émoussées au frottement du monde. J’ai de l’enthousiasme pour ce qui est supérieur à l’esprit du monde, de l’indifférence philosophique pour ce qui suit le courant vulgaire.

— De l’enthousiasme, dites-vous ? N’est-ce pas payer bien cher une chose aussi naturelle que le désintéressement ? Je ne vous demande pas tant, moi, monsieur Goefle, je ne réclame de vous que l’estime. Croyez donc, je vous en prie, que si je suis libre de mon choix, je consulterai mon cœur et nullement mes intérêts. Dussé-je ne plus jamais avoir de dentelles à mes manchettes et de nœuds de satin à ma robe, dussé-je ne plus jamais danser à la lueur de mille bougies et aux sons de trente violons, hautbois et contre-basses, je me sens capable de faire ces immenses sacrifices pour conserver la liberté de mes sentimens et le bon témoignage de ma conscience.

Marguerite parlait avec feu. Animée par la danse, elle mettait