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elle lui avait parlé avec douceur. — Il faut, ajouta-t-elle, que le baron ne lui ait rien dit de mon algarade, ou que, la sachant, elle ait résolu de s’y prendre autrement pour m’amener à ses fins, tant il y a que je respire, que le baron ne s’occupe plus de moi, et que si je dois être grondée demain par ma tante, ou renvoyée pour pénitence à ma solitude de Dalby, je veux me divertir cette nuit et oublier tous mes chagrins. Oui, je veux danser et sauter, car figurez-vous, monsieur Goefle, que c’est le premier bal de ma vie, et que je n’ai jamais dansé que dans ma chambre avec la bonne Potin. Aussi je meurs d’envie d’essayer mon petit savoir en public, en même temps que je meurs de peur d’être maladroite et de m’embrouiller dans les figures de la contredanse française. Il me faudrait trouver quelqu’un d’obligeant qui m’aidât à m’en tirer et qui eût l’œil sur moi, pour m’avertir charitablement et adroitement de mes gaucheries.

— Ce quelqu’un-là ne sera pas difficile à trouver, répondit Cristiano, et si vous voulez vous fier à moi, je réponds que vous danserez comme si vous en étiez à votre centième bal.

— Eh bien ! c’est convenu, j’accepte avec reconnaissance. Attendons jusqu’à minuit. Nous organiserons, avec ces messieurs et ces demoiselles qui sont ici, un petit bal à part, dans un bout de la galerie, et peut-être que ma tante, qui danse dans le grand salon avec les plus gros personnages du pays, ne s’apercevra pas de la prompte guérison de mon entorse.

Cristiano commençait à babiller pour son compte avec l’aimable fille, et, un peu exaltée par le champagne, sa gaieté tournait insensiblement à la sentimentalité, lorsqu’un nom prononcé tout haut près de lui le fit tressaillir et se retourner vivement.

— Christian Waldo ? disait un jeune officier à figure ouverte et enjouée, qui l’a vu ? où est-il ?

— Oui, au fait ! s’écria Cristiano en se levant, où est-il, Christian Waldo, et qui l’a vu ?

— Personne, répliqua-t-on d’une autre table. Qui a jamais vu la figure de Christian Waldo, et qui la verra jamais ?

— Vous ne l’avez pas vue, vous, monsieur Goefle ? dit Marguerite à Cristiano ; vous ne le connaissez pas ?

— Non ! Qu’est-ce donc que ce Christian Waldo, et d’où vient que sa figure est impossible à voir ?

— Mais vous avez entendu parler de lui ? Son nom vous a frappé ?

— Oui, parce que déjà ce nom est venu à mes oreilles à Stockholm ; mais je n’y ai pas fait grande attention, et je ne me rappelle plus…

— Voyons, major, dit un jeune lieutenant, puisque vous connaissez ce Waldo, expliquez-nous donc ce qu’il est et ce qu’il fait. Moi je n’en sais rien encore.