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— Non, répondit-il. Quel besoin les anges ont-ils de diamans ? N’ont-ils pas les étoiles ?

Marguerite rougit, et, s’adressant à la jeune Russe : — Ma chère Olga, lui dit-elle, je vous supplie de dire vous-même au baron que je ne peux pas le souffrir. Vous me rendrez grand service… Et tenez, la preuve !… Voilà ce bracelet qui vous fait tant d’envie !… Brouillez-moi avec le baron, et je m’engage à vous le donner.

— Oh ! oui-dà ! que dirait votre tante ?

— Je lui dirai que je l’ai perdu, et vous ne le porterez pas ici, voilà tout. Tenez, tenez, le baron revient vers nous ; c’est pour m’inviter. On recommence le menuet. Je vais refuser. Ma tante est là-bas, absorbée dans une conversation politique avec l’ambassadeur de Russie. Soyez tout près de moi, il faudra bien que le baron vous invite.

En effet, le baron venait avec une grâce sépulcrale renouveler son invitation. Marguerite trembla de tous ses membres lorsqu’il avança la main pour qu’elle y mît la sienne en disant : — La comtesse Elvéda m’a dit que maintenant vous désiriez danser, et je fais recommencer le menuet pour vous.

Marguerite se leva, fit un pas, et, se laissant retomber sur sa chaise : — Je voudrais obéir à ma tante, dit-elle d’un ton résolu ; mais vous voyez, monsieur le baron, que je ne le puis, et je ne pense pas que vous ayez l’intention de me soumettre à la torture.

Le baron fit un mouvement de surprise. C’était un homme intelligent, fort bien élevé et méfiant à l’excès. La comtesse ne l’avait pas tellement trompé qu’il ne fût prêt à voir clair au moindre indice, et l’aversion de Marguerite était si manifeste qu’il se le tint pour dit. Son sourire prit une expression de profond dédain, et il répondit avec une gracieuse ironie : — Vous êtes mille fois trop bonne pour moi, mademoiselle, et je vous prie de croire que j’en suis profondément touché ! — Et, s’adressant aussitôt à Olga, il l’invita et l’emmena par la main, tandis que Marguerite glissait dans l’autre main de la jeune ambitieuse son riche bracelet rapidement détaché.

— Monsieur Goefle, dit-elle vivement à Cristiano d’une voix tremblante, vous m’avez porté bonheur, je suis sauvée !

— Et pourtant vous êtes pâle, lui dit Cristiano, vous tremblez.

— Que voulez-vous ? J’ai eu peur, et à présent je songe à la colère de ma tante, et j’ai peur encore !… Mais c’est égal, je suis délivrée du baron ! Il se vengera de moi, il me fera peut-être mourir ; mais je ne serai pas sa femme, je ne porterai pas son nom, je ne toucherai pas sa main ensanglantée !

— Taisez-vous, au nom du ciel ! taisez-vous ! dit Mlle  Potin, aussi pâle, aussi effrayée qu’elle. On pourrait vous entendre ! Vous avez été brave, et je vous en félicite ; mais au fond vous êtes peureuse,