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— Précisément.

— Il veut peut-être faire croire qu’il sue, l’homme de neige, mais c’est tout simplement qu’il fond.

— Vous voyez bien que j’ai raison d’en avoir peur. Et son diamant noir, y avez-vous fait attention ?

— Oui, j’ai remarqué le hideux diamant noir, comme il essuyait son front avec sa main décharnée, car elle est décharnée, sa main, par contraste avec son gros ventre et sa face bouffie.

— De qui parlez-vous donc comme cela ? dit une jeune Russe qui s’était levée pour étaler sa robe sur son panier. Est-ce du baron de Waldemora ?

— J’étais en train de dire, répondit Cristiano sans se déconcerter, que cet homme-là n’avait pas trois mois à vivre.

— Oh ! alors, s’écria la Russe en riant, il faut vous hâter de l’épouser, Marguerite !

— Gardez le conseil pour vous-même, Olga, répondit la jeune comtesse.

— Hélas ! je n’ai pas, comme vous, une tante à qui rien ne résiste ! Mais à quoi voyez-vous, monsieur Goefle, que le baron soit si malade ?

— À son embonpoint mal réparti, au blanc jaune de son œil vitreux, aux ailes pincées de son nez en bec d’aigle, et surtout à quelque chose d’indéfinissable que j’ai éprouvé en le regardant.

— Vraiment ? Êtes-vous doué de la seconde vue, comme les habitans du nord de ce pays ?

— Je n’en sais rien. Je ne me crois pas sorcier, mais je crois très fort qu’il est des organisations plus ou moins sensibles à certaines influences mystérieuses, et je vous réponds que le baron de Waldemora n’en a pas pour longtemps.

— Moi, dit Marguerite, je crois qu’il est déjà mort depuis longtemps, et qu’il réussit, grâce à quelque secret diabolique, à se faire passer pour vivant.

— C’est vrai qu’il a l’air d’un spectre, reprit Olga ; n’importe, je le trouve beau en dépit de ses années, et il y a en lui un pouvoir fascinateur. Toute la nuit dernière je l’ai vu en rêve. J’avais peur, et je me plaisais à avoir peur. Expliquez-moi cela.

— C’est bien simple, répondit Marguerite : le baron est grand alchimiste ; il sait faire des diamans ! Or vous nous disiez ce matin que pour des diamans vous feriez un pacte avec le diable.

— Vous êtes méchante, Marguerite ! Si je disais à quelqu’un qui pût le redire au baron la manière dont vous l’arrangez, vous en seriez très contrariée, je parie !

— Croyez-vous cela, monsieur Goefle ? dit Marguerite à Cristiano.