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été traduits. « La plupart de ces chants, dit M. George Borrow, sont d’une grande antiquité, portent la marque d’une originalité puissante, abondent en métaphores hardies et sublimes, et le mètre diffère de tout ce que j’ai jamais rencontré dans la prosodie orientale ou européenne. » La traduction des chants tsiganes enrichirait la littérature d’un monument curieux et ouvrirait sans doute quelques perspectives nouvelles dans l’histoire de cette race, obscure comme les forêts d’où elle sort, comme les jongles sauvages de l’Inde. Cette considération seule suffirait pour recommander aux yeux du philologue ces restes d’un peuple qui traîne avec lui les reliques d’une ancienne langue et d’une littérature dont les richesses se dérobent sous le voile du temps. Toute forme de la pensée qui s’éteint est une perte pour l’humanité tout entière, et il est malheureusement peu à espérer que, dans l’état présent, il sorte du sein de ces hordes misérables un esprit d’élite qui rallume le flambeau de la race. Un littérateur américain, M. James Simson, s’est pourtant demandé si John Bunyan, l’auteur de Pilgrim’s Progress, ce livre singulier, n’était point un gypsy de sang mêlé. John Bunyan était étameur de son état, et nous avons vu que cette profession était héréditaire chez les Romany, qui l’ont peut-être introduite en Europe.

Tous les gypsies ne peuvent point s’adonner à la musique, et d’ailleurs le vrai talent est sans doute aussi rare chez eux que chez les autres hommes, même dans les directions qui semblent indiquées par la nature, si l’on regarde aux facultés particulières de la race ; mais dans certains pays et au milieu de certaines circonstances, les Romany ne se sont point toujours montrés impropres aux arts industriels. Ils aiment surtout à traiter les métaux. En Espagne et en Russie, ils ont longtemps exercé le métier de forgerons ou tout au moins de maréchaux-ferrans. La forge était généralement placée sur le versant d’une montagne et au cœur d’une forêt dont ils abattaient les arbres avec ces haches grossières qu’ils avaient peut-être apportées des contrées lointaines. Aux environs de Grenade ils continuent de travailler le fer. Le voyageur rencontre souvent des caves habitées par ces ouvriers gypsies et par leurs familles, qui vivent dans les entrailles enfumées de la terre. Quiconque s’arrête le soir à l’entrée de ces caves, creusées aux flancs des ravins qui conduisent aux régions montagneuses, jouit d’un spectacle extraordinaire : rassemblés autour de la forge, ces cyclopes aux membres nus et bronzés, éclairés par la flamme du charbon, qu’excite un