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dont les vices et les inclinations dépravées sont, en partie du moins, l’ouvrage des circonstances. Les enfans nés sous la tente ont sucé depuis des siècles le lait de l’ignorance, mère de tous les crimes. La vie nomade que mènent les gypsies n’étant guère favorable au développement des connaissances même les plus élémentaires, on doit s’attendre à trouver parmi eux très peu de lumières acquises. Ceux qui savent lire et écrire forment une exception. Un des traits les plus repoussans de leur caractère est sans contredit l’inclination au vol ; mais il ne faut pas se hâter de mettre cette disposition odieuse sur le compte de la race. Le vol, que certains philosophes ont considéré comme le fruit amer de l’état social et de la division de la propriété, est au contraire une continuation du pillage qui constitue chez toutes les tribus sauvages ou barbares une sorte de droit naturel. Les gypsies pratiquent sans remords certains actes que tout le monde condamne ; mais il serait injuste de soutenir qu’ils n’ont point une conscience à eux. Cette conscience, je l’avoue, ne se montre point à la hauteur des institutions civiles ni de la morale chrétienne, qu’ils ne connaissent point : à qui la faute ? On s’est jusqu’ici très peu occupé d’eux, même en Angleterre, où l’on s’en est occupé plus qu’ailleurs. Un des grands obstacles à la réforme sociale de cette tribu hindoue est la ténacité avec laquelle les fils adhèrent aux usages de leurs pères, le lien qui unit si fortement entre eux les membres de la secte. Cet obstacle lui-même s’abaisse de jour en jour. Écoutez les gypsies ; c’est d’une extrémité de l’Angleterre à l’autre un cri de lamentation et de regret : « Les Romany s’en vont ! » Ils se plaignent surtout de ce que le sentiment de fraternité, l’amour du sang, décline parmi eux. Il se faut entr’aider, c’est la loi des roms et des juwas. Autrefois cette loi florissait sur toute la terre ; les gueux s’aimaient entre eux ; ils s’aiment moins, à les entendre, depuis qu’ils ont fréquenté les chrétiens.

Il est à observer qu’au nombre des causes de décadence, — et le gypséisme est très certainement dans une période de déclin, — on ne saurait ranger la persécution. Aussi longtemps que les lois sévères et les mesures de proscription furent en vigueur dans la Grande-Bretagne, le peuple noir et errant de la solitude se maintint inébranlable dans ses antiques traditions. Les gypsies se raidirent alors contre une société qui les menaçait : ils se retirèrent dans les déserts et les montagnes, emportant avec eux, non les os, mais les coutumes et l’âme errante de leurs ancêtres. Ils vivaient de la persécution ; la tolérance les tue. La loi civile, en s’adoucissant, a détrôné, du moins en partie, l’ancienne loi des gypsies. Les véritables causes qu’on peut assigner en outre à cette décadence de la secte sont les progrès de l’art agricole, qui ne laisse plus guère dans la Grande-Bretagne