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dans les granges et les hangars, réglant la durée de leur halte sur la générosité et la tolérance des fermiers. Quand ils ne peuvent trouver de toit hospitalier, ils enlèvent la toile qui sert de couverture à leur chariot et se blottissent dessous, hommes, femmes, enfans, comme une couvée de perdrix sous la neige. Dans quelques comtés des highlands où la température est très âpre, ils prennent leurs quartiers d’hiver au pied d’une montagne, et se groupent dans des huttes recouvertes de chaume. De ces cabanes ils décampent au mois de mai, au moment où les jeunes saumons réunis par bandes quittent l’eau douce des rivières natales pour les eaux amères du vaste Océan. À un jour et pour ainsi dire à un signal donné, jeunes, vieux, tout prend son essor comme une troupe d’oiseaux de passage, et échange le toit de chaume pour la tente ou pour le dôme des forêts, dont le feuillage commence à s’épaissir. Quelques-unes de ces bandes traînent avec elles la richesse des patriarches, un certain nombre de moutons et parfois jusqu’à douze ânes[1]. Si les gypsies sont moins nombreux en Écosse qu’en Angleterre, ils y sont beaucoup plus sur leur terrain. Là ils trouvent plus de facilités pour se livrer à leur vie errante comme l’ombre d’un nuage. L’aspect général de la contrée, aux traits frappans et heurtés, s’assortit merveilleusement avec le caractère sauvage des gypsies. Je n’oublierai jamais l’impression que fit sur moi une bande de gypsies assise, au milieu d’une plaine nue, sur les pierres d’un vieux cromlech celtique : le mystère d’une race vivante à côté du mystère d’une race morte.

Le peuple des gypsies est un peuple demi-sauvage qui s’est greffé jusqu’ici à la civilisation par les mauvais côtés. La dégradation morale de cette race, belle et forte à d’autres égards, est-elle sans remède ? C’est ce qu’il nous reste à examiner.


III

Une population qui vit sur le travail des autres est certainement une charge sérieuse pour un état. D’accord avec la morale, l’économie politique conseille donc d’essayer la régénération des gypsies. Quelques philosophes anglais ont comparé cette race à un œuf d’épervier malfaisant sur lequel le plus bel oiseau de paradis étendrait vainement ses ailes. Le moraliste ne saurait acquiescer a ces idées de désespoir, ni passer condamnation sur une famille humaine

  1. L’amour des animaux est un trait du caractère des Romany. Un nommé Joyce Robinson, ayant pu s’évader de prison grâce au secours d’autres gypsies écossais, prit soin, avec un rare sang-froid, d’emporter dans une cage un oiseau qui avait charmé pour lui les heures solitaires de la captivité.