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beauté remarquable. On se souvient encore de l’avoir vue traverser les campagnes d’Ecosse avec un habit d’amazone et un chapeau de feutre à grands bords, le plus souvent montée sur un âne bridé et sellé avec élégance[1]

Aujourd’hui les gypsies du nord de la Grande-Bretagne ont abandonné cette vie de brigandage qui a coûté si cher à leurs ancêtres. Ils ont pourtant conservé là, mieux qu’en Angleterre, certains usages de leur race. On m’a parlé dans le comté de Fife d’un vieux Jamie Robinson, qui était un musicien fort recherché dans les foires et les noces de village. Sa femme, ses filles et ses sœurs se livraient quelquefois à des danses d’un caractère étrange et extravagant. C’était, assure-t-on, un spectacle particulier que de voir ces bacchantes au pied léger, les cheveux dénoués, les vêtemens en désordre, sauter avec une vigueur farouche sur le gazon, tandis que le vieux Jamie, noir et inspiré comme le démon, réglait les mouvemens de la danse et animait les sorcières avec la musique. Les gestes de cette danse étaient quelquefois obscènes, ce qui n’empêchait pas les danseuses d’être chastes comme la plupart des gypsies. Les Romany parcourent aujourd’hui l’Ecosse par petites bandes qui reparaissent tous les ans aux mêmes lieux et à la même époque. Les hommes étament les casseroles, vendent de la poterie grossière, font le commerce des chiffons, des œufs, du sel, du tabac, taillent des cuillères de corne[2], et sont généralement voleurs sur une petite échelle. Ils semblent pourtant se faire un point d’honneur de ne rien dérober autour de l’endroit où ils sont reçus. Les femmes soignent les enfans. Au milieu des riches débris de forêts, des belles rivières, des lacs solitaires de l’Ecosse, ils se livrent avec une grande adresse à la chasse et à la pêche. Il est difficile de leur faire entendre que les bêtes de la création n’appartiennent pas à tout le monde, et ces braconniers ne reconnaissent guère dans leurs modes de destruction ni limites de temps, ni limites de propriété[3]. Quand ils voyagent, les gypsies d’Ecosse couchent le plus souvent

  1. Les femmes de cette race déploient dans certaines occasions an caractère d’énergie sauvage. Charles Brown, un des membres de la bande de Lochgallique, avait été tué dans une lutte désespérée par les enfans d’une autre tribu. Quelques amis rapportèrent à sa femme l’habit du mort, qui était couvert de sang, de cheveux arrachés et de débris de cervelle humaine. La veuve conserva cet habit dans cet état repoussant ; elle le montrait avec orgueil comme une preuve que son mari n’avait point fui, et provoquait ainsi le clan à tirer vengeance de cet acte de barbarie.
  2. Là, comme en Angleterre, ces différens travaux ne sont qu’un prétexte pour couvrir l’oisiveté.
  3. Dans une des cavernes de l’Ecosse vivait, il y a quelques années, une de ces familles de chasseurs. Les peaux des bêtes tuées et dépouillées, pendues aux murs noirs de la caverne, formaient, dit-on, le spectacle le plus étrange et le plus farouche.