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qu’ils teignent de diverses couleurs. Malgré ces petites industries, les hommes jeunes ou vieux ne travaillent guère que pour s’épargner le reproche de ne rien faire du tout. Comme chez les sauvages, ils laissent à la femme le soin de soutenir la famille. Cette étrange créature, la femme gypsy, gagne souvent plus en un jour que son mari durant toute la semaine, Elle va de maison en maison avec des corbeilles dans ses bras, des ouvrages de bois taillés au couteau ; mais cette marchandise n’est qu’un prétexte. Son but est de s’introduire ; son métier est de dire la bonne aventure, de vendre des philtres, des conjurations, des remèdes héroïques, contre toutes les maladies. Elle parle la langue anglaise couramment, et parmi les filles d’Eve il en est peu qui résistent à sa parole décevante. Somme toute, elle est beaucoup plus intelligente que l’homme ; mais elle fait de ses facultés, dans plus d’un cas, un usage regrettable. On l’accuse de séparer les femmes de leurs maris et de pervertir les jeunes filles quand elle y trouve un intérêt. La complicité de ces prétendues sorcières dans certaines causes criminelles n’est malheureusement que trop bien établie. Il y a quelques années, deux femmes anglaises mariées tombèrent amoureuses du même homme : elles avaient plusieurs fois donné des sommes d’argent à une gypsy pour obtenir d’elle des philtres et des enchantemens. Je ne sais si ce fut ce charme-là ou tout autre qui agit ; mais elles réussirent à captiver l’objet commun de leurs affections. Les maris avaient à peine connaissance de cette intrigue qu’ils étaient empoisonnés l’un et l’autre par leurs femmes.

J’ai dit le mal ; je dois dire le bien. La race des gypsies est, dans certains cas, une race criminelle ; ce n’est pas une race vicieuse. Les hommes ne sont point ivrognes, les femmes ne sont point libertines. Par un contraste singulier (et le caractère des gypsies abonde en contrastes), cette même créature qui sert volontiers d’entremetteuse, qui noue et favorise les intrigues les plus coupables, qui murmure des mots tentateurs à l’oreille de la jeune fille, se montre exempte des faiblesses qu’elle encourage chez les autres par l’appât du gain. Elle corrompt sans être corrompue ; elle séduit tout en se gardant bien de se laisser séduire elle-même. Quiconque ne regarde qu’aux apparences serait tenté de sourire quand on parle de l’honnêteté des gypsies ; elles se livrent volontiers à des danses obscènes, à des paroles licencieuses, puis elles s’arrêtent là. Différentes des hypocrites dont parle l’Évangile, elles s’inquiètent peu que les dehors de la coupe soient souillés, pourvu que le fond soit d’or pur. La naissance d’un enfant illégitime est, parmi les gypsies, un événement rare. Cette fidélité conjugale distingue partout les roms et les juwas des autres peuples de la terre, depuis les plus civilisés jusqu’aux plus sauvages. Quoique naturellement jaloux, un gypsy ne s’effraiera