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tente, comme chaque bourse, est indépendante l’une de l’autre. Introduit dans cette vénérable société des roms et des juwas, j’examinai en silence les formes et les traits extérieurs d’une race qui a toujours été pour moi un objet d’étonnement. Les hommes se faisaient remarquer par leur taille, leurs membres bien proportionnés, et un air de distinction naturelle dans les manières qui contraste avec l’attitude lourde du commun des paysans anglais. Ils fumaient nonchalamment leurs pipes, tout en jetant sur moi par intervalles un regard sombre et furtif. Les femmes avaient généralement le front court et sillonné de rides précoces, des cheveux pendans qui rappelaient, pour la noirceur et l’éclat, le ton métallique du charbon de terre, des mains et des pieds d’une petitesse remarquable. Plusieurs d’entre elles avaient des cicatrices aux bras et au visage, traces de leur passage dans les bois et dans les broussailles. La beauté parfaite est parmi les juwas, comme parmi les autres femmes, une exception ; mais, quand elle se rencontre, on reconnaît et on admire un des chefs-d’œuvre de la nature. Une jeune fille de treize ou quatorze ans attira surtout mon attention par la pureté de son type ; je remarquai l’olive de son teint, que rougissait sur les joues le sang riche de la race, ses pommettes un peu saillantes, mais d’un contour agréable, et surtout ses grands yeux noirs dont les prunelles scintillaient comme deux étoiles. L’idée me vint qu’une des ancêtres de cette jeune fille avait peut-être laissé son profil, le prototype de cette beauté en haillons, sur un ancien bas-relief des mystérieux temples de l’Inde.

Les yeux des femmes gypsies ont été comparés, par un poète anglais, aux yeux de la gazelle ; ils en ont peut-être la noirceur et le caractère sauvage, mais j’affirme qu’ils n’en ont point la douceur ni la timidité. Les ouvrières de la classe très pauvre, surtout les Irlandaises, détournent les yeux quand on les observe ; la juwa soutiendrait fixement sous ses guenilles le regard d’un roi : elle ne craint pas, elle se fait craindre. Si elle rougit, ce n’est jamais de honte, mais de colère. On a cru reconnaître que la bouche était le signe caractéristique du plus ou moins d’élévation des races humaines ; celle des gypsies est d’une forme particulière et généralement gracieuse. Leurs dents, très blanches, mais longues, contrastent avec le rouge des lèvres et avec le ton foncé du visage. Il est difficile de se faire une idée de leur goût en fait de toilette, car elles acceptent, le plus souvent sans choix, les vêtemens qu’elles peuvent ramasser ou obtenir à vil prix. Leur préférence semble être toutefois pour les couleurs éclatantes. Il existe un costume de gypsies qui consiste généralement en un mouchoir de tête noué sous le menton et en un petit manteau rouge. On se tromperait d’ailleurs