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des hordes de prétendus bohémiens se montrèrent en France. Leur arrivée fut un événement. Ils se donnèrent comme venant de la Basse-Égypte. À les entendre, le pape, après avoir ouï leur confession, les avait condamnés pour leurs péchés à errer sept ans par le monde, sans coucher en un lit. On jugea toutefois à propos, vu leur état de dénûment et leur mauvaise mine, de ne point les laisser entrer dans Paris : ils furent logés, par ordre de justice, à la Chapelle-Saint-Denis. Tout le monde courut pour les voir ; presque tous avaient un ou deux anneaux d’argent à chaque oreille, « disant que c’était gentillesse en leur pays[1]. » Les hommes étaient noirs et avaient les cheveux crêpés ; les femmes étaient encore plus noires qu’eux et avaient les cheveux droits comme la queue d’un cheval. C’étaient les plus pauvres créatures qu’on eût jamais vues en France. Sous ce manteau de pénitens, les soi-disant enfans d’Égypte obtinrent néanmoins la permission de rôder dans le royaume, et il faut croire que leur expiation n’a pas été méritoire, puisqu’aux sept années de vie errante bien d’autres ont succédé. Ils se conduisirent d’ailleurs comme si le vol et les pratiques équivoques avaient fait partie de la pénitence qui leur était, disaient-ils, imposée par le saint-père, dont ils avaient reçu la bénédiction.

On n’a pas la date précise de l’arrivée des gypsies en Angleterre. Tout annonce cependant qu’ils ont paru dans les îles britanniques depuis plus de trois siècles. Le premier épisode de l’histoire des gypsies de l’Angleterre est la furieuse persécution à laquelle ils furent en butte sous le règne de Henri VIII. Il existe deux décrets de ce monarque dans lesquels les gypsies sont représentés sous les couleurs les plus noires. Ces édits ordonnent aux enfans d’Égypte, comme on les appelait alors, de quitter le royaume et de n’y plus jamais revenir. Un mois est le délai fixé pour leur expulsion générale ; après ce temps-là, ils seront traités comme voleurs. Quiconque s’avisera d’importer quelques-uns de ces vagabonds en Angleterre sera condamné à 4 livres sterling d’amende pour chaque passage. Les peines édictées contre les gypsies frapperont de même ceux qui seraient vus en si mauvaise compagnie. Les décrets de Henri VIII furent suivis d’effet : un grand nombre d’enfans apocryphes de la vieille Égypte furent rechargés sur des navires aux frais de l’état et renvoyés en France. La persécution se ranima sous les règnes de Marie Tudor et d’Elisabeth. Être gypsy était alors un crime que la loi punissait de mort. Les gibets s’élevèrent de tous côtés, et la chair de ces parias d’Occident fut impitoyablement livrée aux corbeaux.

  1. Voyez le manuscrit d’un théologien cité par Estienne Pasquier dans ses Recherches de France.