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les grandes villes et de dévorer les distances sur les chemins de fer s’aperçoit très peu de l’existence des gypsies dans les îles britanniques : à la campagne au contraire, le contraste de leurs mœurs et de leurs traits physiques avec les mœurs et les traits des populations rurales forme dans les comtés du royaume-uni l’un des épisodes les plus curieux de la vie champêtre. Quoique généralement mal vus et redoutés des paysans anglais, ils répandent sur le paysage une sorte de poésie rude et primitive. Au printemps, quand les bois sont verts, quand les haies sont blanches, vous découvrez souvent au détour d’un chemin profond et ombragé une large tache noire ; les gypsies ont passé là : cette tache marque la place où s’est éteint leur feu. Leurs chariots d’un style primitif, leur figure ovale, le caractère unique de leurs yeux noirs, leurs traits réguliers, mais durs, la couleur particulière de leur peau très brune, les cheveux des femmes pendans de chaque côté de la tête en longue touffes qui ont été comparées, pour l’éclat et la noirceur, à l’aile du corbeau, les rudes chansons qu’ils mêlent souvent parmi les rocs et les halliers à leur vie errante, la fierté de leur démarche digne et libre jusque sous les haillons, le regard d’indifférence et même de dédain qu’ils promènent autour d’eux sur les travaux de la terre, tout les distingue des races saxonne et gallique. Ce sont les sauvages, les Mohicans de la Grande-Bretagne.

Une lutte s’est engagée dès l’origine entre l’élément sédentaire et l’élément nomade. Cette lutte a généralement abouti à une sorte de transaction qui assure aux gypsies certains avantagés. Je n’oserais pas dire qu’ils occupent en Angleterre une condition meilleure que dans les autres pays ; mais ils y sont plus indépendans, plus chez eux pour ainsi dire, et leurs costumes plus ou moins pittoresques, leurs danses, leur musique, leurs tentes, interviennent comme un accessoire obligé dans toutes les réjouissances rustiques. S’ils forment un élément insoumis et distinct de la population, ils se mêlent aux classes agricoles par des rapports journaliers, et ce contact a modifié de part et d’autre les mœurs primitives. Quelque chose manquerait à la vie anglaise, surtout dans les campagnes, si les gypsies n’existaient pas, et naturellement ils doivent trouver place dans ces études[1]. Ils se sont attachés à la Grande-Bretagne comme le gui au chêne, et les botanistes ne décrivent point un arbre sans tenir compte de ses parasites.

On ne s’étonnera plus maintenant qu’une race si tranchée, associée par un commerce si étendu et si intime aux habitudes locales,

  1. Voyez, sur l’Angleterre et la Vie anglaise, la Revue du 15 septembre 1857 et du 15 février 1858.