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la Province, comme eût pu le faire un général découragé, mais vers le nord, pour rallier le gros détachement qu’il avait si imprudemment laissé derrière lui. Privé d’équipages de pont par le désastre de Nevers, il eut le bonheur de trouver un gué pour passer la Loire. La rapidité de sa marche n’ayant pas été prévue, le « dégât », comme on disait il y a deux cents ans, n’avait pas encore été fait sur la rive droite de ce fleuve, et il y trouva des troupeaux et des grains dont il avait grand besoin, car ses troupes étaient exténuées ; puis il continua sa marche vers le pays des Senonais.

Labiénus de son côté était aux prises avec des difficultés sérieuses ; la nouvelle des échecs de César et de sa retraite précipitée avait circulé dans toute la Gaule avec la rapidité de l’éclair ; la plus puissante, la plus civilisée des tribus, les Éduens (Bourgogne), dont l’attitude était depuis plusieurs mois incertaine, avait jeté le masque et fait ouvertement défection ; les Bellovaques (Beauvoisis) et toutes les peuplades du nord-ouest avaient couru aux armes et se croyaient sûres de prendre les quatre légions romaines au milieu des marais où s’élève aujourd’hui la plus belle ville du monde. Il fallut à Labiénus toute sa vigueur, toute son intelligence de la guerre et un sanglant combat pour se tirer de ce mauvais pas et s’ouvrir un chemin jusqu’à sa place de dépôt, Agendicum (Sens ou Provins). Après avoir évacué cette ville, où étaient restés les plus gros bagages et les recrues d’Italie, il fit sa jonction avec César.

C’est ici que commencent les obscurités des Commentaires, ou plutôt les lacunes dans le récit qui ont donné lieu à la discussion actuelle. César dit bien qu’après le passage de la Loire il se dirigea vers le pays des Senonais ; il dit bien encore que Labiénus, après avoir évacué Agendicum, fit sa jonction avec les troupes qui revenaient de Gergovie ; mais il ne nomme pas le lieu où s’opéra cette jonction, et surtout il n’indique pas ce que fit l’armée romaine, quelle position elle prit entre le moment où elle se trouva tout entière réunie et celui où elle se mit en marche, comme nous le verrons tout à l’heure. De ce silence fortuit ou calculé on a tiré des conclusions diverses. Essayons de l’interpréter à notre tour, nonseulement en nous appuyant de quelques faits rapportés par César, mais en nous aidant aussi des observations et des conjectures de ses divers commentateurs, y compris celles qui ont été le plus récemment produites.


III.

Et d’abord quelle était la force réelle de l’armée romaine des Gaules ?