Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 15.djvu/719

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’objet préféré des études contemporaines, c’est la forme toute passagère que les lieux, les circonstances, les intervalles les plus rapprochés, impriment pour un temps limité à nos faiblesses et à nos prétentions. L’actualité ! voilà avant tout le grand écueil que bien peu évitent, et c’est, je crois, l’une des principales solutions qu’on pourrait donner a la question qu’une académie de province vient de poser en ces termes : « D’où vient que de nos jours la haute comédie a disparu de la scène pour céder la place à des compositions dramatiques où la morale n’est pas moins offensée que l’art ? »

Il faut tenir compte assurément de cette inquiétude où les œuvres nouvelles plongent le public malgré le plaisir apparent qu’elles lui procurent. Ce n’est pas d’ailleurs que le public n’ait rien à se reprocher, et que sa responsabilité soit pure de toute tache. Nous voudrions voir dans la littérature dramatique un mouvement semblable à celui qui s’opère dans la musique. Il est certain qu’après avoir applaudi trop longtemps les faiseurs d’opérettes, le public se tourne maintenant vers les grands maîtres, et préfère à la trop facile audition de jolis airs la difficile intelligence de Weber et de Mozart. Ce rôle de vulgarisateur qu’a pris le Théâtre-Lyrique, je voudrais, puisque le Théâtre-Français semble parfois y renoncer, que l’Odéon continuât de le soutenir. Après la Jeunesse de M. Augier, ce théâtre vient de donner une pièce en vers qui se distingue aussi par des qualités recommandables. Ce que j’ai remarqué surtout dans l’École des Ménages, c’est la sobriété des épisodes et la simplicité des moyens mis en œuvre pour obtenir des effets véritablement dramatiques. Le sujet choisi par M. de Beauplan a, dit-on, été déjà traité ; c’était pour l’auteur une difficulté de plus. — Un honnête homme est depuis dix ans trompé par sa femme et son ami ; ceux-ci nous apparaissent au moment où ils plient sous le fardeau de leur chaîne adultère, au moment où la coupe épuisée de leurs plaisirs criminels n’a plus qu’amertume et que lie. Le caprice, leur jeunesse, le fruit défendu, telles furent sans doute les seules causes de cette liaison, qui, ainsi motivée, ne devait amener avec elle que ruine et que repentir. Ils sont enfin accablés de fatigue et de honte ; mais leur faute et, ce qui est plus terrible à dire, l’habitude les tient encore plus que le dégoût ne les sépare. Toute faute en effet entraîne des devoirs après elle, et l’amour-propre survit à l’amour. L’amant se voit engagé dans une impasse où il ne peut ni avancer ni reculer. Il lui est interdit de songer à ce qui complète l’existence humaine, au mariage, aux enfans, à la vie de famille. La femme de son côté s’attache à lui en raison même des devoirs que pour lui elle a foulés aux pieds. Pour lui, elle a été mauvaise épouse, pour lui mauvaise mère, et si elle peut encore envisager de sang-froid le premier de ces crimes, le second lui pèse au cœur comme le plus terrible des remords. M. de Beauplan a très heureusement tracé, en regard de ces deux figures, le caractère du mari. Il n’est ni jaloux, ni ridicule, cet honnête homme trompé ; il croit à sa femme et à son ami, et rien n’est plus touchant ni plus sympathique, parce que rien n’est plus rare, que la confiance raisonnée de cet admirable cœur. Dubuisson a entendu, sans les comprendre, les plaintes d’Adrien. Il leur a trouvé un remède bien simple : son ami deviendra son fils. À ces fiançailles inattendues, l’épouse coupable sent à la fois tressaillir en elle les hontes de la mère et les jalousies