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On ne pourrait donc, nous le répétons, toucher à cette situation que pour la régulariser. Cependant, comme toutes les puissances ne sont pas d’accord sur la question de principe, les cabinets de Paris, de Londres et de Saint-Pétersbourg ne demandent point actuellement qu’elle soit posée ; ce n’est point de l’indépendance du Monténégro qu’il s’agira dans la commission mixte dont ils ont instamment réclamé l’institution.

Par suite de l’état de lutte qui existe depuis si longtemps entre les Monténégrins et les Turcs, les frontières des deux pays sont demeurées fort indécises. Au pied de la Montagne s’étendent des territoires contestés qui ont tour à tour appartenu soit au Monténégro, soit aux pachaliks voisins. De là une incertitude dont l’expédition récente sur Grahovo, ainsi que celle de 1852 dans le même district, atteste tout le danger. Chaque jour d’ailleurs cette incertitude est une source de conflits souvent sanglans entre les populations. Les autorités respectives sont fréquemment appelées à intervenir, et il en résulte de petites guerres en quelque sorte privées, que des trêves ménagées par les consuls étrangers suspendent quelquefois, mais qui recommencent toujours. C’est à ces conflits que les puissances désirent mettre un terme, en délimitant exactement les frontières sur la base du statu quo de 1856. Il sera facile sans doute de constater l’état de possession à cette date si rapprochée de nous, et, en le précisant, les puissances rendront impossible le retour de ces contestations, qui entretiennent en permanence l’agitation sur un point d’où elle pourrait si facilement se propager, et qui, lors même qu’elles n’auraient pas une portée si étendue, mériteraient encore toute la sollicitude des cabinets en raison du sang qu’elles font continuellement verser. L’œuvre dévolue à la commission sera donc une œuvre d’humanité en même temps que de bonne politique. La presse autrichienne, qui l’a contesté jusqu’à présent, devra tôt ou tard le reconnaître elle-même.

Ce qui se passe depuis quelque temps en Espagne est vraiment singulier, et pourrait, si l’on n’y prenait garde, devenir périlleux. Voici deux années que le parti modéré, merveilleusement servi par ses adversaires, s’est retrouvé en possession du pouvoir, et il n’est point parvenu à ressaisir d’une main ferme la direction des affaires ; il se consume en tiraillemens intérieurs et en antagonismes incessans. De quelque côté qu’on regarde au-delà des Pyrénées, rien ne se dessine avec netteté ; toutes les combinaisons semblent provisoires, les crises sont permanentes ; on dirait que dans toutes les luttes il y a un secret que nul ne révèle, et qui donne à la politique un caractère incertain et précaire, qui crée une situation fausse pour tout le monde, pour le cabinet et pour les chambres comme pour la royauté elle-même. N’est-ce point là encore l’histoire de ces dernières péripéties qui viennent de se terminer à Madrid par le changement du ministre de l’intérieur et par la clôture précipitée des cortès ? Le cabinet actuel, présidé par M. Isturitz, compte déjà quelques mois d’existence ; il est évidemment composé d’hommes bien intentionnés. Par malheur, il est bien clair que, depuis son avènement, il est frappé d’une secrète impuissance ; il n’a d’autre occupation que celle de vivre. Il ne peut faire un effort pour imprimer à sa politique un élan plus décidé sans risquer de provoquer des dissidences qui se traduisent en quelque crise nouvelle. Le fractionnement du parti conservateur est la faiblesse